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Elles parlaient ainsi tout haut, croyant leur père et leur mère endormis. Mais il paraît que le maître Berthier, qui n’avait que cette chambre pour coucher ses pensionnaires et ses filles, ne s’en fiait pas absolument à l’innocence de l’âge d’or : il était entré doucement, et ayant entendu parler Barbier, qui était fort prés du lit de ses filles, il alla s’imaginer qu’il était couché dans leur lit ! Et ce n’aurait pas été la première fois que, dans ce pays, on aurait vu un grand garçon couché avec de grandes filles sans qu’il en fût mésarrivé : mais il ne faut pas qu’ils aient été dans les grandes villes ! Il semble même qu’un certain instinct instruise là-dessus les parents les plus bornés : quand un fils a une fois quitté la maison paternelle, et qu’il y revient, il ne couche plus avec ses sœurs ; on croirait lui donner une marque de mépris et le traiter en enfant… Je disais que M. Christophe Berthier s’imagina que Barbier s’était mis auprès de ses filles sous prétexte que les deux sœurs étant ensemble, le danger n’existait pas. Dans cette idée, il s’approcha doucement du lit, et lorsqu’il sentit qu’il y était, il chercha le gaillard de la main. Nannette, sentant une main errer sur elle, crut que c’était celle de son bon-ami Barbier. — « À quoi pensez-vous donc ? » lui dit-elle bien bas. « Retirez-vous, que ma sœur ne vous entende ! » Le père ne savait ce que signifiait ce langage, et je conçois aujourd’hui qu’il l’interpréta au pire ; ce qui fit qu’il donna un soufflet à sa fille cadette, sans prononcer un seul mot. Nannette fit