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tantôt des fruits : elle me forçait de les prendre, en me disant : « J’ai appris de Joson que vous ne mangiez presque pas à table. Je vous crois trop timide. Prenez garde ! mon cher Nicolas, on paie quelquefois de sa santé, dans l’âge mûr, la mauvaise honte de la jeunesse ! (à ce que dit mon cher père). » Un jour, que nous étions seuls à la table à écrire, les grands écoliers n’étant pas encore arrivés, elle me dit en riant : — « Vous étiez bien désolé d’avoir fait ce qu’on vous a si rudement reproché devant nous ? Eh bien, c’est ce qui nous lie : si ce petit désagrément ne vous avait pas fait passer pour un enfant, une fille de mon âge oserait-elle se familiariser avec vous comme je le fais ?… … » Je sentis qu’elle avait raison, et je fus presque bien aise de mon malheur. Cependant, je n’avais pas d’amour pour Julie, mais elle était pour moi une créature angélique ; elle ne m’inspirait ni troubles, ni désirs ; je l’aimais comme un ami, non comme une fille. Elle voulut souvent m’emmener dîner chez ses parents, qui sans doute y consentaient ; elle en demanda la permission au maître, qui l’accorda : mais j’étais trop timide pour accepter. Moi ? dîner en ville ! C’est tout ce que j’ai pu faire à quarante-quatre ans.

Cependant, à mesure que je craignais moins, mon incommodité devenait plus rare. Enfin, la dernière fois qu’elle arriva, elle occasionna un trait singulier, bizarre, digne des Nuits de Straparole.

Barbier se plaignait fort de coucher avec moi,