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avec leurs lettres. Je n’avais jamais jeté, à peine connaissais-je la valeur des chiffres communs : je sus jeter du premier coup, et je fis une addition dans la même séance ; Barbier, au bout de six mois de leçons, ne savait encore faire ni l’un ni l’autre. On écrivit ; et si tous les écoliers, excepté Barbier, l’emportèrent pour le corps de l’écriture, je les surpassai tous pour l’orthographe. Mon intelligence était un prodige, comparée à celle de mon condisciple : le cerveau de ce robuste garçon était comme offusqué par une végétation trop forte.

Ma facilité d’apprendre et mon extrême sensibilité furent ce qui me rendit cher à Julie. Elle connut cette dernière qualité, en me lisant quelques passages d’un roman dévot, par je ne sais quel Père Ange, capucin ; passages qui m’attendrirent aux larmes. Elle me parla ensuite d’un autre roman, qu’elle me vanta comme un chef-d’œuvre ! Elle me l’apporta : c’était Polexandre. Elle m’en lut quelque chose, car elle ne pouvait me le laisser, et elle fut surprise de voir que cette lecture, qui avait toujours ennuyé ses camarades d’école, surtout Barbier et Nannette Berthier, me mettait dans une extase de ravissement ; au point que je laissais tout, que j’oubliais tout, pour l’écouter des heures entières en l’absence du maître. Lorsque nous nous connûmes parfaitement, elle me disait un jour : — « Monsieur Nicolas, j’ai parlé de vous à mon cher père ; je lui ai dit comme vous pensiez, comme vous appreniez, comme vous raisonniez.