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allègrement mon vallon sauvage. Ce fut avec transport que j’y revis ma pyramide, élevée sur le plus haut merger. (On appelle ainsi, dans le canton, les fréquents tas de pierres tirés de nos arides campagnes). J’y adossai une sorte d’autel sur lequel je trouvai bon d’allumer mon feu, à cause de la fraîcheur de la matinée. J’avais à peine terminé tous ces arrangements, que j’aperçus dans les airs un oiseau de proie qui tournoyait et qui finit par se précipiter dans un buisson. J’y courus : il plumait une alouette. Un coup de bâton lui cassa une aile au moment où il voulait s’enlever, et je l’assommai. L’alouette palpitait encore. Il me vint une idée : j’avais entendu dans la Bible, que mon père nous lisait le soir, parler des sacrifices d’Abraham, etc. Il me sembla qu’étant roi de mon vallon, je pouvais bien en être le prêtre, un être libre, tel que moi, devant se suffire à lui-même comme roi, pontife, magistrat, berger, boulanger, cultivateur, chasseur. Je considérai l’oiseau de proie comme un coupable qui troublait la paix de ce séjour d’innocence ; sa mort était juste, et je résolus d’en faire hommage à Dieu par un sacrifice. Cette idée me parut très belle ! Midi arriva.

C’est l’heure à laquelle les bêtes de trait sont conduites au pâturage après le travail. J’entendis des cris de pastoureaux et de bergères. L’homme est né pour aimer son semblable. Malgré mon goût pour la solitude, je ne pus entendre ces cris sans un mouvement de joie. Je suspendis mon sacrifice dans