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teurs. Les habitants de Nitry, outre leur insouciance, ont une sorte de grandeur et de générosité ; leur récolte n’est pas faite avec exactitude, comme à Sacy ; le Nitriate dit : « Il en faut un peu laisser au pauvre qui n’a pas de vigne, afin qu’il puisse goûter au raisin ; car autrefois, quand il n’y avait que des fruits sauvages, tout était à tous. Il faut donc laisser au pauvre, qui ne possède plus rien, un peu de fruit cultivé, pour le préserver du vol et du désespoir, pour désaltérer le passant ou le pâtre qui abordent ces collines écartées… » Je trouvais donc des fruits en abondance dans les vignes de Mont-Gré, tandis que mes brebis, mes porcs et mes chèvres paissaient dans le Grand-Pré ou dans le champ de Jean Simon le mansier[1], abondant en serpolet et autres herbettes de coteau excellentes pour les moutons. Comme je sentais ma vie sur ces collines élevées ! Ah ! quels moments déhcieux, et combien je les ai regrettés ! Combien aussi j’en ai joui depuis par le seul ressouvenir ! La journée s’écoulait trop tôt ; c’était avec chagrin que je retournais à la maison paternelle… Oh ! que ne connaissais-je ces bergers des Apennins, qui passent leur vie à la suite de leurs

  1. Ou le feseur de manses. C’était un homme à qui la religion avait tourné la tête, par la crainte de l’enfer. Il avait cesser d’aller à la messe, il travaillait les dimanches et fêtes à ses vignes. Il faisait des manses, ou petites boules de terre argileuse, pour éloigner le diable, qui lui apparaissait sous la forme d’une araignée. On fit enfermer cet infortuné au bout de dix ans, quoiqu’il n’eût causé aucun trouble. On fit mal. Mon père refusa de signer le mémoire.