Page:Restif de la Bretonne - Monsieur Nicolas, t. 1, 1883.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dien. Je demandai vivement cette commission, par deux raisons : par goût, et pour avoir une occupation qui me réunit aux jeunes garçons et aux jeunes filles du village, qui gardaient leurs bêtes à laine ou à lait. Mon père et ma mère hésitaient ; mais enfin, comme on manquait de monde ; que l’absence de Jacquot ne devait être que de quinze jours ; que c’était le plus beau temps de l’année et celui où les pâturages étaient sous la main, on se rendit à mes instances, à condition que je n’irais qu’aux environs de la Bretonne, afin d’être toujours à portée d’être secouru contre les loups. Je me conformai d’abord à mes instructions ; je conduisis les brebis, les premiers jours, dans les Prés des-Rôs, ou d’Éros, suivant Antoine Foudriat, qui prétendait que ce nom signifiait Prés-d’Amour. Je me trouvai seul du côté des ruines d’un ancien hôpital, qu’on nommait encore Grange-à-la-Sœur. J’éprouvai pour la première fois deux mouvements : d’abord celui de la liberté de solitude ; cette sensation fut délicieuse ! Je me recueillis ; je jouis pleinement de mes réflexions : les nuages volants ; le chant de l’œnante ou cublanc solitaire, concentrant par sa monotonie ; les fleurettes d’automne sans feuilles, qui garnissent tristement ces prés, tout cela m’affectait, me remuait, en me faisant sentir mon existence d’une manière nouvelle. Dans ce moment, je me trouvai auprès d’un buisson où Jacquot, deux mois auparavant, m’avait montré un nid de linotte : ce buisson me rappela vivement le berger, et je sentis cet attendrissement, que cause