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âme vive et sensible jouissait de tout : un site agreste, une colline inculte, une vallée profonde, où la vue était bornée par un bois qui avait quelque chose d’effrayant, m’inspiraient par là même une sorte d’ivresse concentrée, qui s’égayait, lorsque nous montions sur les collines. Alors, je me trouvais plus léger ; l’audace remplaçait l’effroi ; je chantais le premier Deo laus qui me venait dans la mémoire. Si, pour accroître le charme, nous venions à voir un lièvre, ou à trouver un nid, mon bonheur était au comble ; je nageais dans la volupté ! (Hélas ! aucune jouissance depuis n’a été aussi pure, aussi complète !) Jacquot était doux, désintéressé ; il ne me contrariait jamais : j’étais, au contraire, vif, emporté, avide, possédé du démon de la propriété ; nous devions être amis. Aussi l’aimais-je tendrement, comme on va voir.

Saint-Michel.Huit jours avant la Saint-Michel, c’est-à-dire le jour même de l’équinoxe, 21 Septembre, Jacquot partit secrètement pour Saint-Michel en Basse-Normandie, à plus de quatre-vingts lieues de Sacy. Ce pèlerinage est celui des garçons de quinze à seize ans, comme celui de Sainte-Reine, qui n’est que de quatorze lieues, est celui des jeunes filles. Ils étaient alors sacrés tous deux, comme celui de Saint-Jacques-de-Compostelle, ou comme celui de La Mecque pour les Musulmans. Un garçon qui n’avait pas été à Saint-Michel, était regardé comme un couard, un poltron : il paraissait manquer quelque chose à la pudeur d’une jeune fille, qui n’avait pas encore visité