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nous revînmes à Vermenton, où ma conductrice me fit rester, promettant de venir me reprendre au premier vendredi de marché… Ma sœur marraine m’instruisit, après son départ. Alors l’idée de tout ce que j’abandonnais me frappa si douloureusement, que je m’évanouis… Ce jour est le premier de ma vie où mon cœur serré m’ait fait éprouver une peine inconnue, si vive, si cruelle, qu’en me la rappelant, j’en frissonne encore. Je ne revins qu’imparfaitement à moi-même ; je restai dans une sorte d’anéantissement, qui effraya tellement ma sœur aînée, qu’elle courut chercher le vicaire (mon frère-parrain). Je revins un peu, tandis qu’il me parlait. Je ne le comprenais qu’à demi. Il me semblait qu’il me passait dans la tête des nuages qui tourbillonnaient. Je restais immobile, insensible. À la fin, mes larmes coulèrent ; ce qui me soulagea. Voilà l’idée qui me reste de cette situation, qui était moins, comme on le crut, l’effet de l’attachement moral pour mes parents, que celui de la tenue physique au sol natal, des soins amusants et délicieux que je donnais aux abeilles, aux agneaux, à tous les animaux de la maison, dont j’étais le protecteur et le nourricier. Depuis que nous demeurions à la Bretonne, ce site demi-sauvage avait un charme inexprimable pour moi ; il était ce que leurs montagnes sont pour les Suisses. Aussi fut-on obligé de m’y renvoyer tous les samedis ; j’y restais le dimanche, et ne partais que le lundi matin, pour me trouver à l’école. Le chemin de Sacy à Vermenton n’est pas agréable : on