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filles, qui me barraient la rue : « Ç’ô in chevreu ![1] » disaient les hommes. « — Il ôt dératé ! » répondaient les femmes. On riait chez nous de tout cela ; parce qu’on n’y voyait pas le moindre danger pour moi. Mais outre l’inconvénient moral, auquel on ne songeait pas, je vais courir un péril physique très réel.

Échappé au dernier groupe de filles, je m’en allais tranquillement, croyant devancer tout le monde. Cependant je vis quelqu’un à la porte Là-haut : je ne pouvais retourner en arrière ; je me précipitai par une brèche, qui conduit à la mare. Mais, douloureuse surprise ! elle était environnée de garçons qui tâtaient la glace, trop faible pour les porter !… Une douzaine de filles, en me voyant, s’écrièrent. L’affaire me parut trop sérieuse pour hésiter : — Au cri terrible, douze fois répété : « V’qui Monsieu’ Nicolas ! V’qui l’Sauvége ! … » je volai sur la glace, cassée le matin pour abreuver les bestiaux, et qui se brisait sous mes pieds ; je traversai la mare si lestement, que je n’eus pas le temps d’enfoncer, et je gravis sur le mur de l’enclos de la Bretonne. De là, je regardai les filles, immobiles sur le rivage… Fanchon Berthier, sœur d’Etienne, qui n’avait pas été du complot de m’arrêter, manqua de s’évanouir de frayeur, en entendant la glace craquer sous moi, sur un fond de six pieds d’eau, où certainement je me serais noyé.

  1. C’est un chevreuil. (N. de l’Éd.)