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me mortifiait beaucoup, et ôta le dernier asile à ma confiance dans l’espèce humaine. Mais la contrainte exercée sur moi, la publicité des caresses, qui révoltait ma pudeur naturelle, retardèrent sans doute l’explosion du volcan qui m’aurait consumé. La contrainte et la moquerie m’éloignaient de ce que naturellement j’aurais désiré.

Je roulais quelquefois dans ma petite tête des idées fort avancées ! Mais ce qui doit étonner, c’est que je me figurais que j’aurais eu du plaisir à embrasser une fille malgré elle, à lui inspirer de la timidité ; à l’obliger à fuir, et à la poursuivre : je sentais que c’était là mon rôle, et je brûlais de le remplir. Loin d’être orgueilleux de ma beauté, elle ne me paraissait qu’une efféminisation dégradante, contraire à mes vues de montrer un air mâle, qui me fit respecter des filles. Une anecdote de ce temps-là va faire ressortir avec expression cette idée, qui paraît bizarre.

Il venait souvent à la maison une mercière à banne de Noyers, appelée Madame Geneviève. Elle avait pour conduire sa voiture, un homme qui n’était pas son mari (et ce fut ce qui me donna la première idée des mauvaises mœurs) : c’était un gros et fort Comtois, très grêlé, ayant l’air fier, et le chapeau toujours sur l’oreille. L’air de M. Comtois me convint ; il me parut celui de l’homme, et je me le désirai. Je me figurais comment, avec son imposante laideur, les filles fuiraient devant moi ; et cette pensée me faisait tressaillir d’aise. Car il