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lèvres, qui m’ont valu tant de bonnes fortunes ! J’étais pâle et d’une blancheur de lis ; mince, fluet, dans un pays où la taille est épaisse ; ce qui me donnait un air futé, comme on disait… On se rappelle que les grands garçons, trouvant mauvais que les filles embrassassent aussi librement qu’un enfant, un bellot très avancé, m’en faisaient honte, en criant : « Il a une fille à la joue ! » Ils ne réussirent que trop bien à m’inspirer de la vergogne ! mais les filles, qui les pénétrèrent, furent piquées de leur motif. Un dimanche, en sortant de la messe, je me trouvai entouré de Reine Miné, des deux Jeanne et Madeleine Champeaux, Agathe Tilhien, Madelon Blondin, Marie Menant, Mathron ou Marthe Bérault, Ursule Ledme, Nannon Fouard, sœur aînée de Marie, en un mot de toutes les filles à marier. Elles m’embrassèrent à gogo, sur les joues, sur la bouche, et même me claquèrent légèrement. Ma résistance multipliait et rendait plus vives leurs attaques. Je souffrais tout à la fois, et j’avais du plaisir… Quand elles me laissèrent, les grands garçons se mirent à hurler : « Il a dix filles à la joue ! » Cette huée me couvrit de honte, je m’enfuis. Depuis ce jour, je ne pouvais sortir, que les garçons ne courussent après moi, pour me faire mettre une fille à la joue. N’osant pas embrasser les filles eux-mêmes, à cause des parents et du curé, ils avaient du plaisir à les voir me fourrager. Je m’échappais ; les filles me poursuivaient. Il fut du bel usage, à Sacy, d’embrasser par force le petit Monsieur Nicolas… ce qui