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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

sorte de volupté. O Sara ! Tu me préparais la mort ! Toi. Adeline adorée ! Que t’avais-je fait, Sara ? »

Mais il semblait que j’eusse réservé toute ma sensibilité pour le 31. La date portait : « 31 mai, 11 heur. du soir. Sara non revenue ! Ma Sara perdue ! Et moi, au désespoir ! … » Je me recueillis d’abord quelques instants : un nuage de douleur et de larmes se formait… Mon cœur était serré, ma poitrine haletante… Mes yeux s’obscurcissent… mes larmes coulent, et je m’écrie :

« Depuis un an, mon malheur est complet ! Mon cœur, mon pauvre cœur avait cru trouver un asile ! Il s’y était jeté, pour ne le quitter jamais ! Il aimait, il adorait un objet… Ha ! Qu’il la trouvait aimable, cette fille qui l’a trompé ! C’est aujourd’hui l’anniversaire de l’anéantissement de mon cœur ! Aujourd’hui, aujourd’hui, malheureux ! tu ne le sentis plus que pour souffrir ! Et je pleurais, je fondais en larmes, le visage voilé d’une main, traçant quelquefois de l’autre sur la pierre l’excès de mes douleurs.

Avec quelle vivacité cet anniversaire me retraçait la trahison de Sara ! Je la sentais peut-être plus cruellement que je ne l’avais alors senti ; je ne pouvais que sangloter…

C’est en ce moment cruel que j’aperçus devant moi, sur le pont Marie, Sara, sa mère et Florimond. Un élan de tendresse involontaire, désavoué par ma raison, me porta vers l’ingrate. J’abordai la mère. J’en fus accueilli. Je ne lui parlai que de Sara ; je dis ce que je pensais ; je l’aimais, en cet instant (ceux qui connaissent le cœur humain n’en seront point étonnés, après ce que je venais d’éprouver). Cette femme parut charmée de ce que je lui disais ; encouragé par là, je sentis de la joie, de l’amour, de la tendresse… Mme Debée, adoucie par les dispositions que je montrais pour sa fille, me parlait avec affection.

Nous arrivâmes ainsi au Boulevard ; j’y reparus avec ces deux femmes, que j’avais été y voir si souvent à la dérobée, soit avec mon ancien rival, soit avec leur nouvelle connaissance ; j’y jouis des doux regards, du gracieux sourire, des paroles obligeantes de Sara, au même endroit, où, le 9 octobre précédent, j’avais