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D’UN HOMME DE QUANRANTE-CINQ ANS

aurez-vous en lui un soutien, un appui solide ? — Je le crois. — En étes-vous sûre ? — Je ne le suis de rien. — Pas même de mes sentiments ? — Que voulez-vous que je dise ? — Allez, allez, Sara ; vous ne doutez pas de mes sentiments ; mais ils vous pèsent. » Nous parlâmes ensuite sur un ton moins sérieux, et Sara elle-même, en me reconduisant, me dit : « Si M. Lamontette savait que nous causons ainsi amicalement, que nous soupons ensemble tête-à-tête, ho ! que nous dirait-il ? — Il ne serait pas content, et sûrement il vous en donnerait des marques ! sans avoir les mêmes droits que moi, il ne serait pas aussi indulgent ! — Il me disait un jour : « Hé bien, Fifille ? et M. Nicolas, l’avez-vous toujours ? — Sans doute, lui dis-je en riant. — C’est votre ancienne inclination, reprit-il, il faut la conserver soigneusement ! » « S’il osait me tenir ce langage indécent, je ne le souffrirais pas, mademoiselle. — Bon ! il ne craint personne aux armes ; il est un des forts du royaume. » (O fille, fille ! ta détestable adresse ne m’épouvanta pas !) Nous en restâmes là.

Le vendredi matin, je revis Sara, et je la saluai du nom de mon rival, cherchant à m’égayer ainsi moi-même. Elle dit que ce badinage n’était pas de son goût. Je changeai de conversation, et Mademoiselle s’humanisa un peu.

Le samedi, je vis Sara deux fois, et la seconde détruisit l’impression favorable de la veille. Elle me conta que sa mère avait absolument congédié Lamontette ; elle en versa des larmes, et les sanglots l’étouffaient. Mais ayant entendu revenir sa mère, elle prit sur-le-champ un air serein. Je fus très peiné de la découverte que son affliction me faisait faire de son ingratitude. L’impression en dura tout le dimanche. Je la vis cependant, parce qu’elle se tint à la croisée, prête à partir ; mais je ne lui parlai pas en particulier. Le lendemain lundi, je l’aperçus devant moi, comme je passais par sa rue. Elle me vit aussi, et doubla le pas ; mais je ne jugeai pas à propos de la joindre, et, à mon retour, j’eus la force de ne pas entrer chez elle. Cependant le soir, nous soupâmes encore ensemble, et je lui marquai beaucoup de froideur… Le mardi, je fus assez tranquille. Le soir, je ne pus sou-