Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
LA DERNIÈRE AVENTURE

avoir qu’un père, et qu’elle n’avait qu’à voir lequel elle préférait. « Je les garderai tous deux, avait répondu la peu délicate Sara. — Cela est impossible. — En ce cas, je quitterai l’autre, moi… » Ce mot me fut bien sensible ! « Quoi ! » répondis-je, « elle me sacrifie à une connaissance de quinze jours ? — Vous le voyez ! Et je vous gage que si je lui présente demain une connaissance nouvelle, vous la verrez quitter aussi facilement celui qu’elle vous préfère aujourd’hui. (Cela est arrivé.) Quel caractère ! » pensai-je… Je me défiai de la mère ; je me crus bien fin de voir qu’elle ne parlait de la sorte que pour me montrer qu’on ne pouvait être l’ami de sa fille que sous sa protection. Une foule d’idées se présentèrent alors : « Qu’a donc prétendu Sara, en me la faisant détester ? Quelle trame ourdissait-elle ? Parlait-elle d’après son cœur ?… » Ce mystère se dévoilera quelque jour… Mais j’étais près alors d’avoir des preuves de la vérité de tout ce que Mme Debée-Leeman venait de me dire.

La froideur de Sara continua jusqu’au lendemain soir, qu’elle reprit son ancien ton avec moi. Nous étions amis le samedi, nous le fûmes le dimanche et le lundi, à quelques petites inégalités près. Le soir, mon rival vint rendre sa visite et savoir quel jour on irait à la campagne. La mère s’en défendit ; Sara qui le désirait ardemment, s’efforçait de la faire changer de résolution ; mais la mère, qui voyait le but de l’homme qu’elle n’avait recherché que par intérêt, qui pénétrait au fond de son âme par ses moindres discours, et qui sentait qu’il n’était, d’aucune manière, ce qu’il fallait à elle et à sa fille, tint ferme dans son refus, au moins pour ce jour-là. Le mardi, Sara fut gaie jusqu’au soir, que la demande de son amant fut encore refusée. Elle ne put y tenir ; l’humeur la plus marquée s’empara d’elle ; furieuse ou pleurante ou d’une aigreur insupportable, elle fit tout ce qu’il fallait pour me guérir. Quelle triste comparaison avec ce qu’elle me disait six semaines auparavant lorsqu’elle sortait pour la promenade et que j’allais la joindre ! « Venez ! Sauvez-moi quelques instants d’ennuis ! » Et lorsque j’arrivais auprès d’elle : « Que je suis charmée de vous voir ! Tout mon chagrin se dissipe, à votre