Page:Restif de la Bretonne - La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans, éd. d’Alméras.djvu/224

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
LA DERNIÈRE AVENTURE

croyait pas. Je l’assurai que je n’avais pas vu sa mère. Nous causâmes ; elle me fit quelques reproches sur ma conduite de l’avant-veille ; elle me parla des lettres que j’avais montrées, et nous convînmes que je dirais qu’elle les avait écrites pour se former le style. Elle frappa plusieurs fois à une cloison, pour avertir mon rival. Il vint comme un homme qui s’éveille ; et moi, j’eus la faiblesse de donner pour une vérité le mensonge conseillé par Sara. Ce n’est pas que je n’eusse suggéré moi-même ce motif autrefois ; mais c’était après la seconde lettre, et je ne crois pas que jamais il l’ait déterminée à m’écrire. Mon intention était cependant de faire servir les lettres qu’elle m’écrivait, à lui donner un style naturel. Souvent les règles y étaient blessées (sans doute parce qu’elle était étrangère), quoique le mérite du fonds s’y trouvât, et je corrigeais ces fautes, en lui relisant ses propres lettres. Sara douce alors, m’écoutait avec complaisance, et elle refaisait elle-même ses lettres, pour les rendre telles que je les ai rapportées. Durant cet entretien, il y eut une disparate singulière dans la conduite de Sara envers moi ! Sur la fin de notre conversation, et dans un instant où mon rival était occupé en bas, elle me dit ces propres mots : « Mon bon ami, j’ai joué ; je n’ai pas le sou. » Ce langage inattendu me pénétra de joie, et j’y satisfis comme je le pus. Enfin je la quittai. Sara était seule à l’instant où je partis, et ce fut elle qui eut la dureté de m’y faire songer !

En arrivant, je trouvai la mère, avec laquelle je m’entretins une partie de la journée : j’étais bien aise de lui parler, pour voir si elle me dirait encore qu’elle avait laissé sa fille seule ; mais elle m’avoua que mon rival était avec elle. Je l’avais vu (non sans le plus grand étonnement !), cependant cet aveu ne m’en surprit pas moins, surtout lorsqu’il fut accompagné d’un autre : qu’à la première fois qu’elle s’était absentée, il était retourné coucher à sa maison de campagne. Ce fut alors que si j’avais été moins sensible, moins aveugle, moins subjugué par l’esprit et par le cœur, j’aurais dû mépriser et fuir une… Mais je m’en gardai bien ! je savais qu’il y allait de ma vie, et si je rompais