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LA DERNIÈRE AVENTURE

qui me l’avait fait connaître, Mlle Lee alla quereller cette dame chez elle, et peu s’en fallut qu’elle ne la battît. Elle alla plus loin, elle parla contre moi, d’après ma conduite récente relativement à mon ami ; et, par un seul mot, elle la présenta sous le jour le plus odieux. Ce fut encore sa fille qui m’apprit tout ce qui s’était passé à cette occasion. J’entrai en fureur à mon tour, et je voulais… Sara me retint avec peine. Enfin, rentrant en moi-même, je la pris dans mes bras. « Vois ton pouvoir sur moi, chère amie, lui dis-je, nulle autre que toi ne l’aurait eu ! »

Mon bonheur était presque détruit, puisque j’avais contre moi la mère de Sara ; mais ma jeune amie me paraissait également attachée. Sa mère lui disait quelquefois : « Je me brouille avec M. d’Aigremont, mais cela ne vous regarde pas, qu’il demeure votre ami, votre père, j’y consens, je surmonterai par amitié pour vous, la répugnance que j’ai à le voir. » Elle ne s’en tenait pas là ; comme elle avait formé un plan digne de l’atrocité de son caractère, elle jetait adroitement sur moi un ridicule souvent répété. Ce n’est pas qu’elle n’eût un pouvoir absolu sur sa fille ; elle n’avait qu’à dire un mot, et Sara n’aurait pas osé, ou n’aurait plus voulu me voir ; mais comme c’était elle qui l’avait obligée de me rechercher, elle ne voulait pas se contredire trop visiblement. Sara était une grande fille avec laquelle il fallait plus de ménagement qu’avec une enfant. Au reste, tout ceci n’est que des conjectures. Le judicieux lecteur verra par la suite ce qu’il doit penser des motifs de la mère et du caractère de la fille.

Une autre raison de l’espèce de ménagement que la première avait pour moi, c’est que depuis quelque temps, je m’étais chargé de l’entretien de Sara. Je croyais les moyens de la mère bornés ; d’après ce qu’elle m’avait dit. Le jour de ses cris, sur la privation forcée de sa fille, j’avais offert, par amitié pour une jeune personne que je regardais comme la mienne, de payer sa pension ; la mère avait accepté cet arrangement que j’avais présenté avec toute l’honnêteté possible, pour ménager la pudeur de ma jeune amie ; l’étage au-dessous de moi était le plus agréable de la mai-