Page:Restif de La Bretonne - Les Contemporaines, (Charpentier), tome 2, les Contemporaines du commun, 1884.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
LA JOLIE GAZIÈRE

que Colette était incapable de lui nuire, tant par elle même qu’à raison des dispositions de M. de S**. : elle était enfin parvenue à gagner la mère Wallon, et elle désirait le retour de Colette, pour lui annoncer cette bonne nouvelle ; à sept heures, à huit, à neuf heures, son inquiétude augmentait toujours : mais à dix, et enfin à onze, elle fut persuadée qu’il était arrivé quelque malheur à son amie. Elle en versa des larmes, et ne ferma pas l’æil de la nuit. Le lendemain, en voyant partir son frère qui avait couché à la maison, elle le pria de la conduire chez son protecteur : car elle ne voulait confier ses inquiétudes qu’à lui. M. de S** fut très surpris de voir entrer Manon dans sa chambre ! elle n’y était jamuis venue ; et s’avancer jusqu’à son lit, la douleur peinte sur son visage. Qu’avez-vous, ma chère fille ? — Mon amie… Ses larmes coulèrent. Elle raconta en peu de mots tout ce qui s’était passé, les craintes de sa belle-mère ; le renvoi de Colette dans sa chambre ; la démarche que cette jeune fille avait faite pour rentrer chez son maître : elle ajouta qu’elle ne l’avait pas revue. M. de S** ne fut pas aussi effrayé que sa jeune amie ; il ne pouvait non plus en vouloir beaucoup à la mère Wallon de ce qu’elle craignait si fort de le perdre pour sa belle-fille : cependant il s’habilla promptement et sortit avec Manon.

Ils allèrent d’abord à la chambre de Colette : elle n’y était pas revenue. Ensuite chez le maître gazier, qui avoua qu’il avait refusé de la reprendre, mais qu’il en était fâché. — On ne sait ce qu’elle est devenue ! (dit Manon). Je le sais, moi (dit une gazière) : ma petite sœur l’a vue poursuivie par un bandit du quartier, et un semestre de la connaissance d’Hélène : elle s’est sauvée ; elle a rencontré un fiacre, où elle est montée, et ma petites sœur dit que la moucharde était dedans, et qu’elle l’a emmenée : et nous savons ici toutes, que Colette ne connait pas la moucharde ; ainsi elle s’est jetée, sans le savoir, dans la gueule du loup. À ce discours, qui rassura un peu Manon, les inquiétudes de M. de S** s’accrurent au double. Il s’informa de la