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LA JOLIE GAZIÈRE

circonstance, l’attachèrent plus que tout ce qu’il avait encore trouvé d’aimable en elle. Il le lui témoigna, et lui dit les choses les plus obligeantes, en présence de Colette. — Vous serez, l’une ma femme, l’autre ma fille (leur dit-il) : c’est un bonheur qui me paraît si grand, que je vais forcer les obstacles qui m’arrêtent encore, pour en jouir plus tôt : soyez tendrement unies, et lorsqu’il s’agira d’établir Colette, je tâcherai que ce soit avantageusement.

La journée fut agréable, comme l’avait été le dimanche précédent : on alla se promener au Jardin des Plantes, au moyen d’une robe que Manon avait prêtée à Colette, en attendant qu’elle eût une de celles que M. de S** lui faisait faire. La mère Wallon apprit cette nouvelle marque d’intérêt que l’amant de sa belle-fille donnait à la jolie gazière, dans la soirée du dimanche, et elle l’apprit, sans la circonstance que c’était à la sollicitation de Manon. Elle en fut effrayée ; se rappelant toutes les attentions que M. de S** avait eues pour elle au jardin, elle crut que l’abandon de sa belle-fille était assuré. Dès le lundi, elle lui chercha querelle sur tout ; elle témoigna ensuite qu’elle ne se souciait pas de l’avoir dans sa chambre. Manon fut au désespoir de ce caprice, dont elle ignorait la cause : mais enfin, elle n’était pas la maîtresse ; il fallut céder : avant la connaissance de M. de S**, elle aurait disputé contre sa belle-mère, et peut-être l’aurait-elle emporté sur cette femme, qui était bonne, et qui avait un grand faible pour elle : mais son amant l’avait rendue timide, respectueuse, reconnaissante. Colette, désolée, alla s’établir dans sa petite chambre, qui n’était pas fort claire, et assez malsaine. Manon vint l’y consoler. Sa belle-mère, au lieu d’être touchée de sa douceur et de son obéissance, dont les femmes de cette espèce ne connaissent pas le prix, en abusa, pour lui défendre d’aller voir Colette. Le second jour, la jeune gazière voyant qu’elle ne pouvait travailler chez elle, retourna chez son maître, qui la reçut mal, et refusa de l’occuper. Elle s’en revenait très affligée, lorsqu’au