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LA JOLIE GAZIÈRE

belle-fille, lui montrer à écrire, lui faire faire des lectures, en un mot en prendre soin. Son but était légitime, comme on le verra dans l’histoire de la Jolie Blanchisseuse : tout ce qu’il faut dire ici, pour l’intelligence de l’histoire de Colette, c’est que Manon avait des sentiments conformes à la manière dont elle était élevée par cet homme d’un mérite distingué.

Colette fut enchantée de l’accueil que lui faisait Manon ; car cette dernière avait les larmes aux yeux. En la reconduisant, Manon lui fit des offres de service, et l’assura qu’elle connaissait quelqu’un qui s’intéresserait à elle : — Vous verrez ici dimanche cette personne-là, ma chère Colette : venez dîner avec nous, je vous y invite, et vous serez bien reçue ; c’est moi qui vous en réponds. La jolie gazière se retira toute consolée par ces marques d’intérêt ; et, après avoir remercié en peu de mots les autres voisines, elle s’en fut à son ouvrage.

En la voyant entrer, toutes ses compagnes qui étaient déjà au travail, se mirent à claquer des mains. — Te voilà donc, ma pauvre Colette. Ah ! que nous sommes bien aises ! Va, va, nous savons à cette heure ce que c’est que la belle Hélène ! C’est mam’zelle Chitchit. Ah ! la guenon, si elle revient, je lui arracherai son chien de bonnet monté en battant-l’œil. — Il n’y a plus rien à craindre pour moi, mes bonnes amies (leur dit Colette) ; dès que je la connais, je ne la verrai plus : je préfère de gagner tout doucement ma vie honnêtement avec vous, quand je devrais ne manger que du pain, à vivre dans la bonne chère aux dépens de l’honneur. Toutes les gazières se levèrent aussitôt, et quittèrent leurs métiers, pour venir l’embrasser : ce fut la première récompense de sa vertu. Ensuite, comme Colette n’était pas habile, les plus expéditives convinrent entre elles de mener son ouvrage pendant qu’elle dinerait, afin qu’elle fût aussi avancée que les autres. Mais Colette les remercia : elle les pria seulement de lui montrer leur manière, qui était meilleure que la sienne, les assurant qu’elle tâcherait de l’attraper. Les plus adroites s’y prêtèrent avec empressement, et l’on vit