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LA JOLIE GAZIÈRE

sur ses gardes. Lorsqu’on eut bu outre mesure, on proposa de chanter ; c’est-à-dire de crier à tue-tête quelques chansons grivoises. Le faraud beugla la sienne, qui n’était qu’une grossière polissonnerie. Le soldat croassa une de ces chansons de guerre, composée par ces malheureux qui les crient dans les rues, et où le goût, la rime, la raison et la langue sont à tout moment souffletés. Vint enfin le tour d’Hélène. — Ha ! pour moi, je ne chante pas de chanson de guerre ; ça est trop martial : mais j’en sais une toute neuve et ben jolie, conte les filles qui font les sucrées mal à propos. C’est sur l’air de la Fricassée de Nicolet : Dame ! c’est que j vas au spectaq, depuis un queuque temps, et c’est là qu’on voit de belles choses ! — Surtout cheux Nicolet : (dit le faraud) : c’est le premier spectaq de l’Hirope. — De l’Hirope ! ( s’écria le soldat) : Tu badines ! Et les Variétés donc ! C’est là qu’on voit Jeannot ! Ignia pas dans l’ monde, je n’dis pas l’Hirope, moi, je dis dans l’ monde, de spectaq qui vaille Jeannot. C’est qu’ignia de l’esprit dans c’te pièce-là ! Et puis l’acteur, c’est un acteur, ça !… Si j’savais ête acteur comme c’t acteur-là est acteur, je m’ferais tout à l’heure…… comédien de bois cheux Audinot…… C’est en core eune belle chose que les comédiens de bois !…… Et puis ces enfants ? C’est qu’i vous y a là des p’tites filles qui n’ sont pas mal jolies, dà ! J’vous en ai vu une qui s’ nommait la… la… p’tite Henriette… qui… qui… — Ah çà, avez-vous bientôt assez parlé, vous autes (s’écria Hélène), et m’ laisserez-vous chanter ma chanson ? Quant à moi j’ vous dis et r’dis qu’ignia rien comme Nicolet ; j’y vas tous les jours, et j’y ai mon entrée, da ! et aux premières loges ! où je vas m’quarrer quand j’veux… J’ t’y mènerai, va, Colette, laisse faire, et j’ te ferai aussi donner des entrées, si t’es bonne fille, entends-tu ? — Mais chante donc (lui cria sa mère). — Allons, allons, maman. — Maman ! maman ! ah ! je n’veux pas de c’ nom-là. — Pourquoi donc ça, ma mère ? — Dame ! c’est qu’une maman… Tu sais ben c’ que j’veux dire ? — Moi ! eh ! c’ment la sarais-je ? vous