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LA JOLIE GAZIÈRE

aux portes, elle frappa. Hélène ouvrit, et la reçut avec les marques de la plus vive amitié. — Ah çà, Colette, j’allons souper : tiens, aimeras-tu ce filet de porc, qui sort du four, avec des oignons dessous, et une bonne remoulade ! Mets-toi là : j’allons souper tout de suite. — J’attendons encore queủqu’un (dit la mère). — Voici la principale, les autes n’avaient qu’à venir… T’as faim, n’est-ce pas, Colette ? — Mais (dit la mère), t’attends ton amant ? — ľ’ m’en pend des amants ! j’ n’attends personne ; et mettez-vous là, sans quoi j’ n’ vous attendrai pas vous-même… Allons, n’ faites donc pas tant vote embarras, ma mère ! Pendant ce discours, la pauvre Colette regardait l’excellent souper de l’œil du désir : d’un autre côté, elle était honteuse, parce qu’elle croyait s’apercevoir que sa présence ne faisait pas plaisir à la mère. Enfin, comme on allait se mettre à table, il entra un jeune faraud du quartier, que Colette connaissait superficiellement. En entrant, et avant de parler à personne, il retourna s’appuyer sur la rampe, d’où il siffla. On entendit aussitôt, dans l’escalier, le bruit d’une marche rapide. C’était un autre faraud, arrivé depuis deux jours en semestre à Paris. Au moyen de ces deux convives, la compagnie fut complète. Cependant la mère ne faisait pas bonne mine au semestre : — Qu’est-q’ça vient donc faire ici, manger notre souper, un avale-dru comme ça ? Paix ! il en faut, ma mère (lui dit sa fille). On se mit à table, et la compagnie mangea d’abord et but, sans prononcer que quelques monosyllabes. Lorsque les estomacs furent lestés, la joie bruyante succéda, de la part des deux hommes : le semestre voulut hasarder quelques libertés avec Colette ; mais il fut vivement repoussé. Monguieu ! comme tu fais la bégueule ! (lui dit Hélène) : Tiens, regarde-moi ? Et elle embrassa son faraud. — Tu le connais. (lui dit Colette), et moi je ne connais pas monsieur. — Oh ! si n’ quient qu’à ça, ignia qu’à faire connaissance ! On versa une ronde ; on but et on tâcha de faire boire Colette. Mais elle était sobre naturellement, et la compagnie où elle était l’obligeait à se tenir