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LA JOLIE GAZIÈRE

frir qu’elles deviennent, par leur pénurie de moyens, des pépinières de corruption : je n’écris qu’en faveur des mœurs : il n’y a que les aveugles et les fanatiques qui ne le verront pas[1].



Il y avait rue d’Ablon, faubourg Saint-Marcel, une jeune et jolie gazière, nommée Colette. Sa mère, pauvre blanchisseuse, lui avait donné ce métier, parce que le sien lui paraissait trop rude pour sa fille. En effet, Colette était délicate ; elle avait le teint fin, le sourire doux et charmant. Elle était presque blonde, mais elle avait dans la physionomie quelque chose de l’agrément des brunes, par la noirceur de sa prunelle et de ses sourcils. Elle était entrée en apprentissage dès l’âge de dix ans. Elle ne se ressentit pas d’abord de la misère, parce que sa mère la nourrissait. Mais elle ne jouit de ce précieux avantage que durant cinq ans. À l’age de quinze, elle perdit sa mère, et se trouva réduite à ce qu’elle pouvait gagner. C’était peu de chose ! La petite Colette, qui était adorée de sa mère, ne travaillait qu’autant qu’elle le voulait, et elle n’avait pas acquis l’habitude de la main ; elle fut plus à plaindre qu’une autre, et tomba bientôt dans une triste situation.

Elle avait pour compagne une belle brune, qui lui témoignait beaucoup de bonne volonté. Cette fille, environ dans le temps où Colette sentait plus vivement la perte de sa mère, quitta le maître gazier où elle travaillait, et fut quelque temps sans paraître dans le quartier. Colette, qui l’aimait beaucoup, allait tous les dimanches s’informer d’Hélène chez la mère de celle-ci, qui était aussi blanchisseuse. — Ho ! répondait cette femme, ma fille a de l’industrie, à’ s’ pousse : i’ n’est pas défendu de faire son chemin quand n’on l’ peut.

  1. Je sais plusieurs de ces Nouvelles, que je suis plus glorieux d’avoir composées, que la tragédie de Mahomet ou la Henriade.