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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

» Voilà ma situation, monsieur. Jugez si je ne serais pas une misérable d’aller vous écouter, et d’exposer mes enfants à être abandonnés de leur père ? Si donc j’ai un conseil à vous donner, c’est de vous attacher à votre femme : et quoique vous m’ayez fait la confidence qu’elle aime votre beau-frère, au point que vous croyez qu’ils ont manqué ensemble à l’honneur ; néanmoins, elle est si aimable, qu’il faut bien lui pardonner quelque chose. Vous y êtes d’autant plus intéressé, que madame Dequène, quoique vous ne lui déplaisiez pas, ne vous a rien accordé, qu’elle ne vous accordera jamais rien, et que, d’ailleurs, cela causerait un horrible scandale, si vous vous comportiez comme vous m’avez dit en avoir eu l’envie. Parlez à votre beau-frère : reprenez chacun vos femmes, et nous garderons nos amoureux, ma sœur et moi : car j’ai vu, aussi bien que vous, que M. Dequène cherchait à en conter à ma sœur. »


Lorsque Julie eut achevé son histoire, Dequène ne put retenir un éclat de rire, qui fut entendu par la raconteuse et le charcutier. Ils se levèrent précipitamment pour voir qui c’était : et dans le même instant, Isabelle et sa sœur ainée parurent ensemble : elles avaient entendu les deux histoires : la jolie charcutière, sœur d’Isabelle, était rouge et paraissait fort animée ; elle lança quelques sarcasmes aux deux sœurs, qui venaient de faire leur confidence à son beau-frère et à son mari ; elle regarda surtout le premier avec fureur, et des larmes de rage coulèrent de ses yeux. Pour Isabelle, sa conduite fut absolument différente : elle embrassa les deux sœurs et leur jura une éternelle amitié.

On s’en retourna dans la maison pour souper. Mais lorsqu’on se fut mis à table, on n’aperçut pas la belle-sœur de M. Dequène. On l’appela, on la chercha ; elle était disparue. Le divertissement fut troublé par l’in-