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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

tance. C’était le charcutier et Julie. Ce dernier venait apparemment de témoigner ses amoureux désirs à la sœur de la belle charcutière ; mais elle ne s’y était pas rendue, et comme il devenait trop pressant, elle avait parlé très haut, en le menaçant d’appeler. Il lui demandait pardon, et se montra si soumis qu’il parvint à la déterminer à s’asseoir, tout proche du buisson de rosiers derrière lequel étaient Adélaïde et Dequène, qui abandonnèrent leur entretien pour écouter celui des deux autres :



HISTOIRE DE LA TROISIÈME CHARCUTIÈRE


Vous voulez que je vous écoute ! (disait Julie au mari de la jolie charcutière) mais que ne savez-vous si je n’ai pas une inclination ? Je ne saurais le croire, mademoiselle ! votre réputation est établie, et les bruits n’ont regardé que mademoiselle votre sœur ! Vous vous tromperiez par là : je vais être franche : mon cœur est donné depuis deux ans, quoique je n’en aie encore que dix-huit. Mon amant est de notre état ; c’est un de nos garçons. Je ne sais si vous l’avez vu ? C’est un beau brun, de votre taille, ayant de l’esprit, de la gaité, de bonnes mœurs, et surtout de la tendresse pour moi. Je ne doute pas qu’il n’eût préféré ma sœur : mais s’étant aperçu qu’elle était prise, il vint à moi. La manière dont il m’offrit son cœur est singulière. — Mademoiselle Julie (me dit-il), je ne dirai pas que vous êtes une beauté ; mais vous êtes aimable par vous-même, et vous le paraissez doublement, quand on remarque les traits de ressemblance que vous avez avec mademoiselle votre sœur aînée : c’était d’elle que j’étais amoureux en entrant chez vous : c’était pour la voir et l’obtenir plus aisément que je me suis fait charcutier : je ne croyais pas que cet effronté d’huissier-priseur viendrait se faufiler dans votre boutique : mais enfin, la chose est faite ;