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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES


HISTOIRE DE LA IIe BELLE CHARCUTIÈRE


« Il y a environ six ans queje fis la connaissance d’un huissier-priseur : c’est un beau jeune homme, rempli de talents, et qui doit avoir une fortune un jour, outre ce que lui rapporte son cabinet. Mais cette fortune dépend d’un oncle qui désapprouva l’inclination de son neveu. J’étais si tendrement aimée de ce dernier que la défense vint trop tard. Comme il avait prévu cet obstacle, avant de m’en parler, il s’était efforcé de me déterminer à une démarche inconsidérée, qui devait m’attacher à lui pour jamais. Je m’étais rendue à ses raisons ; je devins enceinte, et je mis au monde un fils. Ma mère et ma sœur en furent au désespoir : mais, comme aux choses faites il n’y a point d’autre remède que la prudence, elles se déterminèrent à garder un profond secret. On m’avait envoyée dans un quartier fort éloigné, chez une habile sage-femme, à laquelle j’étais inconnue ; l’enfant fut baptisé sous le nom de son père et de sa mère, mais sans danger pour la réputation de l’un et de l’autre. Je passai pour malade à la maison, pendant ce temps-là qui fut très court. On me rapporta un soir en litière, je fus mise dans mon lit, et je reçus quelques visites dès le lendemain.

» Mon rétablissement fut un peu long à cause de mes chagrins et du transport. Mon amant, néanmoins, me montrait les sentiments les plus généreux : aux serments d’un attachement éternel, il joignait tous les soins que peut rendre un mari adorateur de sa femme. J’oubliai mes peines ; je voyais souvent mon fils, et quand nous le visitions ensemble, le père et moi, c’était une journée si délicieuse, qu’elle effaçait des mois de tourments. Je me comportais cependant avec une certaine réserve à l’égard de cet homme chéri : il en fut peiné. Je sentis qu’au fond il avait raison de se plaindre, et je n’eus d’autre excuse à lui donner que la crainte de causer du chagrin et de l’embarras à ma