Page:Restif de La Bretonne - Les Contemporaines, (Charpentier), tome 2, les Contemporaines du commun, 1884.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

chères, qui, sans être distingué, a une certaine grâce très piquante : celui d’Adélaïde, ce jour-là, était un mélange de la mise bourgeoise, et de celle des femmes de bouche ; il avait un charme qu’il est impossible d’exprimer. La propreté la plus recherchée en était la base ; sa robe était d’un brun qu’on nomme puce depuis quelques années, parce que cette couleur lui allait à merveille ; elle avait un tablier de taffetas noir, à bavette, qui rehaussait la blancheur naturelle de son teint ; en un mot elle était charmante, et la noblesse de sa figure, un coloris tendre et brillant en augmentait encore le prix de ses appas.

Sa sœur Rosette-Julie n’était pas aussi bien ; au premier coup d’œil on la jugeait laide : mais elle avait de la douceur, de l’esprit et des grâces ; avec cela une fille de dix-huit ans peut toujours passer.

On se mit à table de bonne heure. Les deux sœurs y furent charmantes ; l’ainée surtout, qui surpassait la jolie charcutière pour la beauté, fit une prodigieuse impression sur Dequène, et la cadette enchanta le beau-frère. On se divertit comme des gens qui se plaisent ensemble, et onze heures sonnaient quand les deux sœurs prièrent instamment de leur permettre de se retirer. Les hommes les ramenèrent dans la voiture de M. Dequène. Seuls avec ces jeunes personnes, ils achevèrent de connaître leur mérite. Mais ils ne témoignèrent leur admiration que d’une manière générale, et par des compliments, tels qu’on a coutume d’en faire aux femmes. Ils les prièrent de devenir les amies de leurs épouses, en leur représentant que toutes les convenances se trouvaient réunies. Les deux sœurs, à qui les épouses en avaient dit autant, promirent de profiter des offres obligeantes qu’on leur faisait. On arriva ; le mari de la jolie charcutière, en remettant les belles, raconta comment on s’était trouvé au salon et comment on avait passé la boutique, sans en avertir les deux sœurs, afin de pouvoir les retenir à souper. La maman reçut les excuses de ses filles, et remercia son confrère, ainsi que Dequène, en leur disant à tous deux les