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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

jusqu’à présent. Nous n’avons encore rien à nous reprocher que nos mutuels sentiments, ton mari et moi ; je te le jure, et nous sommes incapables de jamais de venir plus criminels. — J’y consens (répondit Isabelle) : je vois aussi dans ma sœur et dans mon mari ce que j’ai de plus cher au monde : mais je ne resterai pas avec mon beau-frère. — Pourquoi non (reprit la jolie charcutière) ? tu es à l’abri des chutes. — Peut-être ! ton mari m’a toujours paru si aimable. — À ce mot de sa cadette, l’aînée fit un soupir et regarda Dequène. — N’y a-t-il aucun moyen (lui dit-elle) ? — Non, mon amie, aucun : nous sommes liés par une chaîne de fer ; rien ne peut la rompre, que la mort.

Les larmes des deux sœur recommencèrent à ce mot fatal. On voyait dans les yeux égarés de l’aînée le désir du plus affreux des crimes ; et peut-être, si Dequène n’avait pas reçu l’éducation qui distingue les honnêtes gens, peut-être le crime d’une Lescombat allait-il se renouveler ! Mes bonnes amies (dit le mari d’Isabelle aux deux sœur), pourquoi nous désoler ? N’avons nous pas de moyens d’être heureux ? Si vous voulez m’en croire, nous vivrons tous quatre ensemble ; nous n’aurons qu’une maison et qu’une table. — C’est ce que je demande ! (s’écria l’aimable Isabelle) : je ne suis pas jalouse de ce que vous aimiez une sœur qui m’est chére, mais je suis fâchée de ce que nous menons une vie malheureuse, tandis que nous avons tout ce qu’il faut pour la rendre agréable. La jolie charcutière fut du même avis que sa sœur ; on prit dans la maison de Maillot un appartement pour Dequène et son épouse, on eut la même table, on ne se quitta plus.

Ce remède n’eut cependant pas l’effet qu’on en attendait : au contraire, à table, ou dans les entretiens particuliers, Dequène était toujours avec l’aînée, tandis que son beau-frère s’en dédommageait avec la cadette. Ce dernier était bel homme, comme on l’a dit, il était coiffé en petit-maître : l’aisance ou la fortune de M. Dequéne mettait les deux ménages réunis en un, lui permettait de quitter le costume peu agréable de son état ;