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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

Ce fut alors qu’Isabelle, un peu plus avancée en âge, considérant la conduite de sa sœur, qui lui enlevait son mari, et la laissait des semaines entières avec le charcutier, ouvrit enfin les yeux et prêta l’oreille aux discours qu’on tenait autour d’elle. Son beau-frère était bel homme, il était privé de sa femme ; il osa offrir ses vœux à l’aimable Isabelle. Mais la jeune personne fut effrayée de l’image qui s’offrit à son esprit, et du désordre affreux dans lequel on lui proposait de donner…

Le même jour, elle alla où demeurait sa sœur, qu’elle trouva causant avec M. Dequène. Elle ne dissimula pas le sujet de sa visite ; elle leur dit naïvement la proposition que venait de hasarder Maillot. La jolie charcutière regarda son beau-frère la larme à l’œil : — Que faire ? — Il n’est qu’un parti sage à prendre (répondit Isabelle) ; retournez chez vous, réunissez-vous à votre mari, et laissez-moi le mien. — Es-tu jalouse (reprit la sæur aînée) ? — Je ne l’ai point été jusqu’à cet instant : mais enfin j’ouvre les yeux et je vois que je suis absolument négligée de mon mari, comme tu négliges le tien, et que c’est la raison des propositions que mon beau-frère m’a faites aujourd’hui. Que voulez-vous que je fasse, tous deux ? — Ma chère femme, répondit Dequène, je vous tromperais, si je vous disais que je n’adore pas votre sœur : c’est par amour pour elle que je vous ai recherchée ; oui, je l’adore ; elle est ma première et ma seule inclination. Notre malheur à tous trois a fait qu’elle s’est mariée avant que je fusse libre : j’ai voulu lui tenir par quelque endroit ; je vous ai donc épousée, pour être son beau-frère : comme sa sœur, loin de m’être indifférente, vous êtes ce que j’ai de plus cher après elle. Ne me faites pas un crime de mes sentiments ; ils sont involontaires : daignez me le pardonner, ma chère Isabelle ! La jeune épouse ne répondit que par des larmes ; sa sœur l’imita. Enfin l’aînée prit la parole. — J’aime ton mari autant que j’en suis aimée (dit-elle à sa cadette) ; donne-moi du temps pour me surmonter et continue de vivre comme tu l’as fait