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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

La nouvelle épouse avait naturellement du goût pour le commerce de sa sœur, à cause d’une belle charcutière qu’elle connaissait, dont tout le monde admirait les grâces, et elle se trouvait au comble de la joie quand elle pouvait servir au comptoir. L’aînée avait eu ce goût dans les premières semaines de son mariage ; mais il s’était ralenti ; ce fut pis encore, lorsque Dequène lui eut fait connaître qu’elle aurait joui d’un sort beaucoup plus relevé, si elle avait différé son mariage de deux ans ! elle prit du dégoût non seulement pour son commerce, mais encore pour son mari. Sous le prétexte des présents de noces, son beau-frère lui avait donné des brillants, des étoffes charmantes, etc. Elle se fit faire des robes du dernier goût ; elle priait son beau-frère de la mener aux spectacles, aux promenades. Il ne demandait pas mieux ; et comme Isabelle était charmée de rester à la boutique de sa sœur, où elle faisait la ménagère et servait en joli déshabillé blanc, son aînée avait toute liberté.

Cette fréquentation journalière ranima les sentiments de M. Dequène ; elle en fit naître de pareils dans le cœur de la jolie charcutière ; ils s’adorèrent, ils se le dirent, et ces deux imprudents ne se donnèrent pas la peine de déguiser leur flamme criminelle. Ce n’est pas cependant qu’ils se livrassent aux derniers excès ; la jolie charcutière évita une chute trop honteuse ; mais elle vécut mal avec son mari, dont elle n’aimait pas le nom (il s’appelait Maillot), et dont elle voulut enfin absolument se séparer, malgré les représentations de son beau-frère. Cette démarche scandaleuse fit un mauvais effet, non sur l’esprit d’Isabelle qui ne pouvait croire le mal de sa sœur, mais dans l’opinion du public.

Voilà donc la jolie charcutière tout entière à sa passion. Elle occupa une petite maison dans un faubourg et ce fut Dequène qui fournit à sa dépense. Sa fortune y suffisait heureusement ! et il eut l’adresse de faire passer tout ce qu’il donnait à sa belle-sœur, par les mains de sa femme.

Les choses demeurèrent deux années dans cet état.