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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

En ce cas, ma petite sœur, je sais combien vous m’aimez ; disposez de mon sort : mariée par vous, je crois que je serai heureuse… Voilà son dernier mot. — Est-il bien vrai, madame, que si vous étiez à la place de votre jeune sœur, vous auriez accepté ma foi ? — C’est ce qu’il est inutile de vous assurer. Prêt à devenir votre beau-frère, c’est une douceur pour moi que cette assurance. — Je vous réponds donc, monsieur, que j’ai dit ce que je pensais. Vous n’imaginez pas à quel point cette disposition de votre part m’intéresse ! Vous rappelez-vous comme je vous regardais, en passant devant vous, lorsque vous demeuriez chez vos parents ? Je ne vous le cache plus ; je vous adorais ; mais j’étais marié pour lors : vous l’êtes aujourd’hui ; je ne saurais vous appartenir comme époux ; que je vous appartienne au moins comme beau-frère : c’est mon vœu le plus ardent. — Je me félicite, monsieur, de procurer à ma sœur un parti aussi avantageux ! — Je l’aimerai, madame, soyez-en sûre ; mais ma belle-sœur me sera bien chère !… Je veux, quand je serai entré dans votre alliance, que ma fortune soit commune entre vous et moi : le lien qui va m’unir à votre sœur légitimera ma conduite, et la rendra estimable aux yeux de tout le monde. J’aspire à cet heureux instant ; daignez le hâter. Victoire rougit, baissa la vue et soupira, mais imperceptiblement : — Ah Dieu ! j’étais aimé ! (pensa le futur beau-frère en se levant). Le second entretien qu’eut Dequène avec la jolie charcutière, accéléra le mariage. Isabelle, invitée à goûter par sa sœur, arriva comme Dequène allait se retirer : on le pria de revenir dans une heure. En son absence, les deux sœurs s’expliquèrent, et la jeune Isabelle, contente de la figure et des manières du prétendu, donna son aveu. Victoire en instruisit Dequène à son retour ; on goûta. Isabelle fut ravissante, Victoire un peu concentrée ; mais son teint avait cet éclat de la rose, qui la rendait si belle quand elle était fille. Dès le même soir elle prévint sa mère, et, dans le mois, Isabelle devint madame Dequène.