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LES TROIS BELLES CHARCUTIÈRES

goût de son ainée ; elle se l’était rendu propre : elle avait le teint délicat, une blancheur de lis ; elle n’avait pas autant de grâces que Victoire, mais elle était aussi jolie : surtout elle avait comme sa sœur un goût exquis pour sa chaussure. Telle qu’elle était, le riche veuf ne trouva pas de fille qui lui plût autant. Il alla chez la Jolie Charcutière, ainée de la gentille Isabelle, et après s’être fait connaitre par son nom, par sa place et par sa fortune, il la pria de s’intéresser pour lui auprès de sa jeune sœur. Victoire, enchantée qu’un aussi bon parti se présentat pour Isabelle, le remercia de l’honneur qu’il faisait à sa cadette et elle ajouta : — Nous nous aimons tendrement, ma sœur et moi ; elle vient ici tous les dimanches, tenir ma place au comptoir, pour que je puisse sortir : elle ne manquera pas dimanche prochain ; nous causerons de cela ensemble, et lundi je vous dirai ce qu’elle aura pensé de votre honnête proposition. M. Dequène (c’est le nom du veuf) soupira, et, portant sur celle qui lui parlait des regards humides, il lui répondit : — Mon bonheur dépend de vous, madame : je remets entre vos mains le sort du plus dévoué des hommes à vos moindres volontés. Ce langage surprit Victoire.

Isabelle alla effectivement chez sa sœur le dimanche suivant, et la jolie charcutière s’acquitta de la commission dont elle s’était chargée.

M. Dequène vint le lundi, comme on le lui avait recommandé. Dès que la jolie charcutière le vit, elle lui sourit obligeamment. Il en tira un bon augure. — Mettez-vous là, lui dit-elle, nous allons causer. — Il s’assit, et comme il était l’heure de la journée où l’on est le plus tranquille dans ces sortes de boutiques, ils ne furent pas interrompus.

— Ma seur a demandé à vous voir avant que de me répondre. Elle s’est d’abord informée si vous étiez de l’état de mon mari, et sur ma réponse que non, elle refusait absolument. J’ai parlé alors de votre fortune, un peu de votre figure ; enfin, j’ai dit, que si j’étais à sa place, vous seriez mon choix. Ce mot l’a frappée…