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LA FILLE DU SAVETIER DU COIN

me flatte du bonheur de vous appartenir bientôt, ma demoiselle (lui dit-il) : mais vous ne me connaissez pas : je n’ai pas, comme vous, un extérieur qui annonce autant de vertus et de qualités que de charmes : je n’ose vous demander ce que vous pensez de moi. — Beaucoup de bien, monsieur ; je n’ai rien vu en vous qui n’annonce l’homme aimable autant que l’honnête homme. D’ailleurs, monsieur, je sais par mon père que vous avez des mœurs ; c’est le principal. Quant à moi, je souhaite, qu’avant un mariage auquel vous paraissez vous disposer, en m’honorant de cet entretien, vous vous informiez de ce que j’ai été, de ce que je suis, de mes dispositions et de mon caractère. Mon père était déjà riche lorsque je suis venue au monde : ainsi, dès mon enfance, je fus considérée comme une fille destinée à faire un mariage honnête. J’ai été fort bien élevée au couvent de la Présentation : une religieuse, pleine de mérite, me prit en affection, et je lui dois ce que je suis : je sais faire presque tous les ouvrages de mon sexe : jouer de tous les instruments qui conviennent à une jeune personne, comme le clavecin, la harpe, la guitare ; la musique m’est familière ; la danse même ; je ne paraîtrai embarrassée nulle part où vous voudrez me mener. Je tâcherai d’être douce et complaisante, je vous en fais la promesse, et j’en contracte l’engagement. Tout cela me sera facile, parce que je vous avouerai que vous m’avez plu dès le premier coup d’œil. Ce n’est pas que j’aie déjà ce qu’on peut nommer de l’amour, du moins je ne le crois pas, mais je serais très fâchée de vous perdre, et je refuserais de me donner à un autre. Voilà pour mes dispositions. Quant à mon caractère, si j’en juge par le passé, j’espère qu’il vous conviendra : celle qui m’a élevée a tâché de le rendre souple ; elle me disait souvent : « Ma chère Adélaïde, vous êtes d’une condition peu relevée ; vous aurez un grand écueil à éviter ! c’est une sorte d’orgueil et d’insolence presque brutale, qu’ont les gens de basse extraction lorsqu’ils se voient riches : on dirait qu’ils s’efforcent de repousser tout le monde dans la fange