Page:Restif de La Bretonne - Les Contemporaines, (Charpentier), tome 2, les Contemporaines du commun, 1884.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LA FILLE DU SAVETIER DU COIN

la jeune personne avait mille attentions pour tous deux, au point que le jeune avocat en fut attendri.

On ne parla que de choses indifférentes pendant le déjeuner : dès qu’il fut achevé, l’aimable Adélaide des servit. — Devant ma fille (dit alors le bonhomme), que je destine à entrer dans un état au-dessus du mien, je m’observe toujours comme vous venez de voir, et je préfère de ne rien dire, à mal parler. Mais que dites vous de mon Adélaïde ? — Elle est charmante. — Écoutez, mon cher avocat, quand je marierai ma fille, je quitterai aussitôt Paris et ma profession, pour aller passer le reste de nos jours, ma femme et moi, dans un joli petit bien que nous avons acheté à cinquante lieues d’ici : ce n’est pas que nous craignions que notre fille rougisse de nous : mais nous avons de la raison : elle aura des enfants de son mari, qui seront de l’état de leur père, et lui-même qui serait, supposons avocat, serait-il bien aise de voir son beau-père savetier ? Ainsi donc, je pense qu’en donnant du bien à notre fille, il ne faut pas le salir, mais le lui donner propre et glorieux, afin qu’elle s’en fasse honneur, et que ni son mari ni ses enfants ne rougissent d’elle. — Voilà qui est bien sensé, pour un homme de votre état, père Lavale ! Je vous déclare que j’admire ce que vous venez de dire, et que si vous étiez mon beau-père, je me ferais honneur d’être votre gendre, d’après le sage discours que vous venez de tenir. — Être votre beau-père, mon cher ami, est ce que je désire ; ç’a a été mon intention en vous invitant à déjeuner, et je suis convenu d’un signal avec ma femme et ma fille pour savoir si vous leur convenez comme à moi : elles l’ont fait, et vous leur convenez aussi. C’est pourquoi, voilà les vingt mille écus, et quelque chose en sus, et voilà ma fille, le tout à prendre ensemble. Car je vous connais : je vous fis suivre avant-hier par mon apprenti, et hier, je me suis informé de vous, dont on m’a dit tant de bien, que je vous prierais de prendre ma fille, fut-elle princesse. Ce langage honnête et tendre pénétra Me De Billi ; il fut également touché de la noblesse des