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LA FILLE DU SAVETIER DU COIN

cent : mais vous m’excuserez. — Hé ! je vous demande en grâce de rester tel que vous êtes ( répondit Me De Billi). — Ah çà, gage que vous avez cru que je me gaussais, mon cher ami ! Je l’avoue, je l’ai pensé. — Je ne vous en aime que mieux d’être venu malgré ça. Vous m’avez paru si bon garçon, si honnète homme, que je me suis intéressé à vous comme à mon fils : d’abord à cause de votre mine ; ensuite, pour ce que vous m’avez dit. Mais, mon cher avocat, pour vous donner d’abord confiance en moi, tenez, venez voir. Le père Lavale ouvrit un tiroir de commode, où il y avait en bons effets, non seulement les vingt mille écus, mais près de quarante mille francs au delà. — Vous voyez que je ne vous ai pas menti, mon cher enfant ; mais j’ai encore un autre trésor à vous montrer, qui vaut au moins celui-là : vous allez me dire ce que vous en pensez dans un moment… Femmes ! êtes-vous prêtes, ainsi que le déjeuner ?…… Je sais que vous au tres gens comme il faut, vous avez un déjeuner différent de nous autres, et j’ai fait élever ma fille tout comme les gens de votre sorte ; vous prendrez du chocolat avec elle, pendant que ma femme et moi nous mangerons chacun notre petit paquet de couennes avec un morceau de jambon. Comme il achevait ces paroles, sa femme entra avec le chocolat ; elle était suivie de sa fille qui portait sur un plat d’argent le jambon et les couennes. Jamais surprise n’égala celle de Me De Billi, en voyant une grande jeune personne, faite au tour, belle comme une des Grâces, l’air modeste, qui lui fit avec grâce une profonde révérence. Elle parla, pour répondre aux compliments qu’il lui fit ; le son de sa voix fut doux et harmonieux ; ce qu’elle dit était spirituel et bien tourné : De Billi ne pouvait revenir de son étonnement. Elle lui servit sa tasse, et prit la sienne : le père et la mère commencèrent leur déjeuner : la conversation fut aussi polie qu’elle pouvait l’etre ; le bonhomme paraissait respecter sa fille, comme si elle eût été une dame fort au-dessus de lui ; la mère en usait de même, tandis que de son côté