Page:Restif de La Bretonne - Les Contemporaines, (Charpentier), tome 2, les Contemporaines du commun, 1884.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
LA JOLIE VIELLEUSE

ser. — Ce mot m’enchante, répondit-il. J’y vois de l’amour, ce sentiment qui doit toujours faire le bonheur ou le malheur de ma vie. Il appela ma bonne. — Je vais remplir vos væux à tous ; j’épouse ma Perle ; mais je ne veux pas que le bruit s’en répande dans le monde : cherchez-moi des témoins inconnus : vous assisterez à la cérémonie, vous et mon domestique de confiance ; vous serez les seuls de la maison qui en serez instruits. Puis, se tournant vers moi : — Perle, vous vous ressouvenez que je vous dis un jour, que dans six mois je vous dirais ce que j’avais déterminé à votre sujet ? Le cruel malheur que je ne prévoyais pas a empêché l’effet de cette promesse : mais apprenez, ma chère fille, que dès ce moment, j’avais formé la résolution ferme de vous épouser, supposé que vous en fussiez digne. Vous l’êtes plus que je n’eusse osé l’espérer, infiniment plus ; et je m’honore, en vous unissant à ma destinée. Je ne lui répondis que par des larmes de reconnaissance.

» Notre mariage s’est fait. Le comte, depuis ce moment, semble moins accablé ; il se livre quelquefois à la joie, aux plaisirs légitimes ; il rit avec moi… Mais il ne veut pas sortir de son tombeau, comme il l’appelle : sa sœur est morte dans cette chambre ; il n’en veut plus sortir ! mais il me jure tous les jours que je le rends heureux ; que je satisfais tous ses goûts ; qu’il ne trouve de plaisir qu’à me voir, et à s’occuper du souvenir de sa sœur chérie. Il y a six mois que j’ai augmenté les sujets de consolation qu’il veut bien recevoir de moi ; c’était sans doute le plus efficace ; je lui ai donné un fils, et il m’a juré, à sa naissance, qu’il sortirait de son tombeau dès que cet enfant serait en état de l’accompagner.

» Je lui ai dit que vous m’aviez parlé. Il en a paru satisfait, c’est par ses ordres que je suis entrée dans tous les détails qui le concernent. Il est flatté de l’idée que notre histoire passera jusqu’aux extrémités de l’Europe, et même à la postérité, dépouillée de tout le fabuleux (c’est son expression) ; surtout, il veut