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LA BELLE LIBRAIRE

avec elle ; et si tu as quelque moyen d’écouter nos entretiens, je n’en serai pas fâchée. Rosalie consentit à tout ce que souhaitait son amie, quoiqu’elle n’en pressentit pas l’utilité.

À la première visite que madame Grandraisin rendit à Rosalie, elle rit de tout ce que dit Maculature ; à un signal Rosalie sortit. — C’est une innocente, que mademoiselle (dit aussitôt Maculature) : il faut la dégourdir ! — Volontiers ! (répondit madame Grandraisin) ; comment faudra-t-il s’y prendre ? — Ah ! madame ! vous me paraissez une petite rusée, qui en sait long ! — Oh ! mon Dieu non ! je vous assure ! — Là, dites-moi : êtes-vous bien contente de votre mari ? — Quelle question ! (dit en riant madame Grandraisin). — Ah ! ça ! j’ai mes raisons pour vous la faire ! — Ah ! quelles raisons ? — Si je vous les disais, vous seriez aussi savante que moi ! — Eh bien ! j’en suis contente… comme ça : vous savez bien que les maris ne sont pas trop aimables ? — Voilà parler !… Ainsi, vous ne seriez pas fâchée de lui jouer quelque bon tour ! — Ah ! de tout mon cœur ! (s’écria vivement la jolie papetière). — Je suis à votre service, et je vous promets de réussir, sans que jamais il s’en doute : laissez-moi faire ! je connais le monde. Telle que vous me voyez, je suis fille d’un garçon de magasin du plus fameux libraire de Lyon ; mon père avait amassé quelque chose, et j’aurais été un parti honnête, lorsqu’un misérable malentendu le fit accuser de vol par son bourgeois. Cela n’était pas, au moins ! mon père avait tous les défaits, lorsque les éditions étaient épuisées ; c’était une convention entre le libraire et lui ; mais quand il se trouvait par hasard des complets dans les défaits, mon père n’était pas obligé de les décompléter, ni de les rendre ; il les gardait et les vendait. Voilà son crime ! Vous voyez qu’il était très innocent ! Néanmoins, comme les maîtres ont toujours raison quand ils se plaignent, le libraire fit mettre mon père en prison ; et il n’en sortit que pour aller faire un tour en ville avec ces messieurs, et de là servir le roi dans la marine ramée. Je