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LA JOLIE VIELLEUSE

moi, ma fille ?… Tiens, voilà son sang !… J’étais hors de moi en apprenant la mort de ma bien-aimée : mais à ce mot, voilà son sang ! je m’évanouis et tombai aux pieds du comte, sur ce même tapis, qui en était encore teint. Le comte me releva dans ses bras. — Voilà une autre victime ! frappe, dit-il à son beau-frère ; bourreau jaloux, frappe ! Tu m’as vu aux genoux de ma sœur, non lui déclarer une coupable flamme, mais la remercier de ses bontés pour cette enfant ! La voilà mourante ; frappe ! voilà l’objet de mon amour, frappe donc, bourreau ! Ta main n’est-elle plus armée par les furies, pour frapper tout ce que la nature a formé d’aimable : frappe !… Et il me découvrit le sein en me présentant à son beau-frère. Je reve nais à moi, vivement agitée par le comte, qui ne se possédait pas. — Donne-moi plutôt la mort que je te demande à genoux, lui répondit enfin son beau-frère ! — Je m’en garderai bien ! tu ne souffrirais plus !… Ô ma sœur ! Ô la plus parfaite des créatures humaines, voilà le sang qui a passé par ton cœur noble et pur ; le voilà répandu sur le parquet, de la main du mari que tu as aimé !… À ce mot, l’époux de ma bien-aimée poussant un cri déchirant, et se jetant aussitôt sur l’épée du comte, il allait s’en percer lui-même. On le retint, et on l’emmena. — Va ! lui dit le comte, elle t’aimait, et à ce titre, je ne saurais te haïr, tout son meurtrier que tu es ! Va, je ne te hais plus… Mais, je suis au désespoir ! Le beau-frère fut entraîné hors de la pièce, quoiqu’il voulůt revenir vers le comte, pour se jeter à ses pieds.

» Pendant tout cela, j’étais demi-morte : ma bonne me faisait respirer des sels, dans les bras du comte, qui, tout en parlant, me pressait contre sa poitrine. Il fit ensuite plus d’attention à moi. Ne me quitte pas, ne me quitte jamais, chère fille, me dit-il : la douleur, le désespoir semblent respecter ta présence : tu m’as sauvé deux fois du crime ; tu es un ange de Dieu, que sa bonté m’a envoyé… Mais enfin, tu souffres !… Soulageons-la ; occupons-nous d’elle !… Elle restera