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LA JOLIE VIELLEUSE

fermant les croisées, comme si j’avais dû la voir venir dans l’obscurité. Enfin, à neuf heures, j’entendis le bruit d’une voiture. Le domestique ouvrit la porte cochère, et elle entra. Je courus au-devant. Ma bonne en descendit, et me fit signe de la main de m’éloigner. — Eh ! pourquoi, pourquoi donc ? lui dis-je. Elle me répondit qu’il le fallait. Je remontai, tournant à tout moment la tête ; car je m’éloignais bien malgré moi ! Je vis alors ma bonne, et une autre femme, descendre quelque chose, comme un corps mort, de la voiture, et le porter à deux, dans la chambre qu’on appelait celle de Monsieur, parce que le comte l’occupait lors qu’il séjournait à la maison. Je fus glacée d’effroi, et je m’enfuis machinalement. Quand elles eurent mis ce cadavre sur le lit, ma bonne vint à moi. — Chère enfant, me dit-elle, nous n’avons plus d’espoir qu’en vous ; montez dans la voiture qui nous a amenées, et venez avec nous chercher votre protecteur. Il est au désespoir ; il ne veut rien entendre : mais à votre nom, que je viens de lui prononcer, il a paru se calmer un peu. — Qu’est-il donc arrivé, ma chère bonne ? — Vous le saurez assez tôt. Venez. Je partis avec les deux femmes. Nous descendîmes chez la sœur chérie du comte, où je le trouvai pâle, défiguré, étendu sur un tapis encore taché de sang. À côté de lui était son beau-frère, soutenu par un vieux laquais, et son ancien instituteur, qui fondait en larmes. — Monsieur le comte, dit ma bonne, voilà votre Perle qui vient vous voir. Je courus à lui sans attendre sa réponse. Je me jetai sur une main qu’il me tendait ; je la couvris de baisers et de pleurs, et je lui dis : Cher papa ! quelle est donc cette douleur, et qui la cause ? Cher comte, dites-le-moi, que je vous console !… Parlez-moi donc, cher papa !… Parlez à votre fille… — Oui, oui, tu l’es, me répondit-il vivement. Viens, viens, ma Perle… Sa bouche a été là… Et il prit un baiser sur la mienne. — Elle a pressé ces mains… Il pressait les miennes. — Elle est morte : elle ne vivra plus que dans mon cœur et dans les traits de ma Perle… Que veux-tu faire de