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LA JOLIE VIELLEUSE

» Elle partit, cette chère bonne amie, que je ne de vais plus revoir !… Mes larmes coulent à son souvenir…

» Le comte, resté seul avec moi, ne me mit pas dans le cas de suivre tous les conseils de sa seur ; il me parlait plutôt en père qu’en amant : c’était un ton de bonté si naturel, qu’il me touchait au delà de toute expression. — Ma sœur, par ses caresses, vient de te donner un charme nouveau, me dit-il ; mais, chère fille, il se ressent de ce qu’elle m’inspire : je suis ton frère, comme je suis le sien, et non moins tendre pour toi que pour elle. Tu m’as fait connaître un sentiment, tu as développé un goût, qu’elle seule avait excité auparavant dans mon cœur : mais j’avais eu la force de les régler, je les réglerai de même avec toi. Dans six mois, à dater d’aujourd’hui, je te dirai ce que j’ai dès à présent déterminé de faire à ton égard. En attendant, je te montrerai l’attachement le plus tendre, et une reconnaissance bien méritée. Tu m’as rendu à moi-même ; c’est un bienfait que je n’oublierai de ma vie. Adieu, ma Perle ; je te laisse avec ta bonne : sois heureuse et tranquille, si tu veux que ton meilleur ami le soit.

» Ce fut ainsi qu’il me quitta. Le lendemain je ne le vis pas, ni son aimable sœur : j’en fus d’autant plus peinée, que je les attendais tous deux. Le jour suivant, ils ne parurent pas non plus. Mon inquiétude fut alors extrême, et je priai ma bonne, si elle savait quelque moyen d’avoir de leurs nouvelles, de l’employer. Je m’informai aussi de ma sœur. Tout m’inquiétait ; j’étais d’un accablement extraordinaire. Ma bonne me dit de prendre patience jusqu’au lendemain. Nous ne vimes encore personne le troisième jour ; et je m’aperçus que ma bonne elle-même devenait très inquiète. Elle sortit sur les cinq heures, en me promettant de n’être absente que jusqu’à six : elle n’était pas de retour à huit. Ce fut alors que mes alarmes augmentèrent. Les larmes me vinrent aux yeux, et je me promenais par la salle comme une folle, ouvrant et