— Dans le temps que je demeurais au château de
mon père, tous les ans, à l’automne, il venait une
foule de garçons et de filles des montagnes du Morvand
pour faire les vendanges : car, quoique le Morvand
au milieu de la Bourgogne, vous savez qu’il n’y a pas
de vignes, parce qu’il est trop froid ; on ne fait de bon
vin que dans la haute, au delà de Dijon, et dans la
basse, aux environs d’Auxerre. Les filles du Morvand
sont, pour la plupart, grandes, fortes, bien faites, et
sages ; mais si libres en paroles qu’on les prendrait
pour des libertines. Les garçons n’ont pas autant d’agréments dans la figure ; on leur voit pour l’ordinaire
des cheveux crépus : mais ils sont forts, bonaces, et
ne manquent pas d’esprit. J’avais quinze ans, et je sortais du couvent, lorsque je vis pour la première fois
cet essaim de vendangeuses : mon père, qui m’avait
miseà la tête de sa maison, me fit lever dès le matin,et
me chargea de veiller les coupeurs et les coupeuses, tandis
qu’il conduirait les hotteurs, et qu’il présiderait aux
pressoirs. Cependant, comme je n’étais pas au fait, il
me donna, pour me guider, deux femmes qu’il estimait beaucoup, l’épouse de son bailli, et celle de son
procureur fiscal.
Lorsque nous fûmes dans les vignes, les vendangeurs s’arrangèrent d’eux-mêmes, un garçon, puis une fille ;