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LA JOLIE VIELLEUSE

non seulement de dédain ou de dégoût, mais d’aversion, portée jusqu’à l’horreur. Il faut cependant en excepter ma mère, mes deux seurs et moi : tu nous as vues hier ici toutes trois ensemble. L’origine de ce sentiment contre nature vient, à ce qu’on prétend, d’une gouvernante d’enfant, qu’avait pris notre mère, dont l’haleine était insupportable. On ne fit pas assez d’attention à ce défaut, d’autant plus dangereux que cette fille, qui était presque rousse, avait la mauvaise manière de baiser continuellement l’enfant sur la bouche : on devrait absolument interdire ce genre de caresse avec les enfants, qui ne peut avoir que des suites désagréables et même dangereuses. L’enfant prit sa gouvernante en horreur ; il ne pouvait supporter d’être avec elle. On en conclut qu’il souffrait, ou qu’il était très maussade : ce fut cette dernière idée qui prévalut, parce que l’enfant paraissait jouir d’une bonne santé.

» À cinq ans, on l’ota des mains de sa gouvernante, pour le donner au précepteur qui devait l’élever. Cet homme s’appliqua de tout son pouvoir à seconder l’éloignement que son élève montrait pour les femmes, dont il lui disait continuellement du mal (nous exceptées) : il les peignait comme des êtres incommodes, dégoûtants, sujets à mille infirmités ; il les tournait en ridicule, en lui faisant arrêter son attention sur les plus vieilles et les plus sales des femmes du commun, soit à la campagne, soit dans les marchés de Paris. Il s’aplaudissait de cette conduite, et on pensait presque de la même manière que lui chez nous. Le comte devint grand, il devint homme, avec ces dispositions.

» Ce fut alors qu’on s’aperçut des tristes effets de son éducation : il avait un caractère sauvage, qui le faisait fuir dès qu’il y avait des femmes étrangères à la maison. Il leur manquait d’égards, et passait devant elles en fuyant sans les saluer. On l’en reprit : il en parut honteux. Il se défendit cependant, en citant l’exemple d’un certain Charles XII, roi de Suède, qui avait à peu