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LA JOLIE VIELLEUSE

et l’amusement fut complet. Cependant le comte me regardait de temps en temps avec un demi-soupir, et j’entendis plusieurs fois ce mot : Est-il possible ! s’échapper à demi de ses lèvres. Il retint la compagnie à souper et sortit avec elle.

» Le surlendemain, vers les onze heures, je vis arriver la jeune dame que j’aimais le plus. Je courus au-devant d’elle jusque dans la cour, et je me précipitai dans ses bras. Elle était seule. Je viens causer et passer la journée avec toi, me dit-elle. Personne ne le sait : dans le cas où mon frère viendrait, il faudra me cacher, afin qu’il ne me voie pas : je vais en prévenir la bonne. Votre frère ! Oui, le comte, ton papa. J’ai bien des choses à te dire, ma chère fille, ajouta-t-elle en baisant le front. C’est lui qui nous a fait venir avant hier pour te voir ; cela te surprend : mais lorsque nous aurons causé, et que je t’aurai fait connaître le caractère et la conduite de mon frère ; que j’aurai parfaitement pénétré le fond de ton âme, je te ferai mes confidences ; tu cesseras alors d’être surprise, et j’espère que tu me seconderas. Mon frère m’est bien cher ! je ne ressemble pas à ces femmes, qui une fois mariées, et sorties de leur famille, pour ainsi dire, l’oublient, pour ne songer qu’aux intérêts de celle où elles sont en trées. J’aime la mienne ; son nom est si beau ! si respectable ! si grand ! que je donnerais ma vie pour le conserver… Mais viens, ma fille, dans ton cabinet : nous aurons une longue séance, et si tu n’as rien pris, commence par là.

» Je fis ce qu’elle me disait ; nous déjeunâmes en semble ; elle prévint ma bonne ; et lorsque nous fùmes seules, elle commença l’histoire de son frère en ces termes :

LE MISOGYNE, OU L’ENNEMI DES FEMMES


« Mon frère a trente-cinq ans. Tu es la première femme sur laquelle il ait jeté les yeux. Dès l’enfance, il abhorrait notre sexe ; il le fuyait avec des marques