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LA JOLIE VIELLEUSE

» En nous en retournant, nous passâmes sur le Boulevard à pied. J’avais un crêpe sur ma vielle et l’air fort abattu. Vis-à-vis le lieu si fatal à ma sœur, je trouvai les aimables dames de la veille, avec les trois mêmes hommes : — Nous sommes revenues ici pour vous seule, me dirent-elles : vous êtes si intéressante, qu’on ne peut être tranquille lorsqu’on sait vos cruels chagrins. Je leur répondis, les larmes aux yeux, que M. le comte venait de voir ma sæur, et qu’elle reposait. Elles m’embrassèrent à ce mot, et dirent au comte : Elle est adorable ; mais il paraît, monsieur, qu’elle a trouvé en vous un véritable ami : nous osons prendre la liberté de vous la recommander. Un intérêt si vif, dans des inconnus, me frappa et m’émut tout à la fois ; je ne pouvais retenir les marques de ma sensibilité ; je tenais la main de la dame qui m’avait parlé, je la serrais tendrement, tandis que le comte répondit : — C’est ma fille : je suis son père ; c’est le titre que je veux qui m’attache à elle : l’amitié que vous lui marquez augmente la mienne… Ma fille, vous êtes maîtresse absolue dans ma maison de Mesnilmontant ; engagez ces dames à vous y honorer d’une visite aujourd’hui ; elles y reviendront, si vous avez l’art de leur rendre votre séjour agréable. Je fus enchanté de ce que le comte proposait : car les dames, surtout celle dont je tenais la main, m’intéressaient infiniment. Nous montâmes en voitures, les trois dames et moi dans celle du comte, les hommes, dans celle qui avait amené cette compagnie.

» Mon généreux protecteur voulut que je fisse les honneurs ; il me montrait ce que je ne savais pas. On eut la bonté de trouver mon apprentissage plein de grâces. Je jouai sur ma vielle les plus jolis airs que je savais : les dames essayèrent un clavecin et une harpe, placés de ce jour même dans mon appartement ; les hommes joignirent leurs voix au son de ces instruments ; le comte l’a très belle et nous fîmes un petit concert. J’oubliai le chagrin et l’inquiétude que me causait ma sœur : on me plaisait, je paraissais plaire,