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LA JOLIE VIELLEUSE

quelques jours, ma chère fille. Comment te trouves-tu ? — Mais beaucoup mieux : il n’y a que ma pauvre sœur qui m’inquiète ! — Son malheur a changé les vues que j’avais ; tu resteras toujours sous ta mise, et tu ne sortiras jamais sans ta vielle ; mais hors d’ici, elle ne te servira que d’ornement ; car j’espère que tu voudras bien en jouer pour moi ? — De tout mon cœur, et avec le plus grand plaisir, cher papa. — Ce sera le plus vif des miens… Je vais te laisser habiller, je viendrai dîner avec toi.

» Il sortit : je me levai : ma bonne me para d’un nouvel habit qu’on m’avait rapporté : comme il y avait un deuil de cour, il était noir, mais riche et charmant. Il m’allait à ravir. Je demandai si je ne pouvais pas aller voir ma sœur ? La gouvernante me répondit qu’elle espérait que M. le comte voudrait bien m’y conduire après le dîner. Il revint, et parut enchanté de ma nouvelle parure. Il ne pouvait s’en taire ; il faisait remarquer à la gouvernante tout ce que j’avais de bien, avec des expressions si flatteuses pour moi, si touchantes, qu’elles allaient à mon cœur, et que je l’embrassai dans un petit mouvement de reconnais sance, dont je ne fus pas maîtresse. — Cette chère enfant ! dit-il à ma bonne !… Ah Dieu ! s’il se pouvait !…

» Nous dinâmes. Je le priai ensuite de me mener voir ma seur. Il y consentit sans se faire presser. Nous arrivâmes à la maison où elle avait été déposée, et dont elle était déjà sortie pour aller à la dernière demeure : Il me pria de l’attendre chez la maîtresse de la maison, et il monta dans une chambre au-dessus, d’où il descendit un instant après. Elle dort, me dit-il, ma chère enfant ; tu ne la verras pas aujour d’hui ; on ne saurait absolument lui parler. La dame me confirma ce que disait le comte, et je me laissai ramener. Qu’il suffise de vous dire que le comte éloigna durant trois mois l’éclaircissement du sort de mon infortunée sœur : il voulait m’avoir accoutumée à lui, avant de me l’apprendre, afin d’adoucir le coup plus aisément : c’est ainsi qu’il en a toujours agi avec moi.