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LA JOLIE VIELLEUSE

» J’étais fort mal à mon arrivée à la maison de Mesnilmontant. La bonne gouvernante me mit au lit et me servit de garde. Le comte arriva sur les dix heures. Il me dit que ma sœur était dans un grand danger, et qu’il y avait peu d’espérance. Il me tint ensuite des discours de consolation fort tendres, et me quitta, en me recommandant à sa femme de confiance. Il alla ensuite chez ma mère : il lui dit que sa fille aînée était enlevée ; mais qu’il avait la cadette chez lui, et qu’il en répondait. Il ajouta qu’il se chargeait de toutes deux ; qu’il fallait qu’elle partît dès le lendemain pour Barcelonette, par le coche-de-terre ; qu’il payerait sa place jusqu’à Lyon, et qu’il lui donnerait de l’argent pour le reste de la route, en la mettant dans la voiture le lendemain, afin qu’elle n’entamât pas ses cent louis. Cette raison la détermina, quoiqu’elle nous aimât beaucoup ; d’ailleurs elle s’en fiait au comte ; elle partit le lendemain, ignorant le triste sort de sa fille ainée.

» Vers les dix heures, le comte revint à Mesnilmontant. J’étais encore au lit. Bonjour, ma chère fille, me dit-il en m’embrassant : car tu l’es à présent : tu n’as plus que moi : j’ai fait partir ta mère ce matin pour votre pays, et ta pauvre seur… n’en reviendra pas. Mais je veux te tenir lieu de tout : tu m’as plu ; je t’aime sincèrement, et ce n’est pas en corrompant tes mœurs, et en t’avilissant, que je t’en donnerai des preuves. Je te l’avouerai ; si tu avais ici ta mère et ta sœur ; si tu étais en un mot sous la protection de quel qu’un, je ne chercherais avec toi que le plaisir : mais tu n’as plus que moi ; je veux te servir de père et d’amant : donne-moi toute ta confiance ; je ne m’en servirai que pour contribuer à ton bonheur. Parle, chère fille, que veux-tu de moi ? Que vous me soyez ce que vous venez de dire, lui répondis-je en lui baisant la main. Charmante enfant ! s’écria-t-il… Mais non, il n’est pas possible… Il me regarda, parut rêver ; ensuite il demanda si je lui promettais d’être absolument sincère avec lui ? Oui, je vous le promets, cher papa, lui répondis-je. — Nous verrons cela dans