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LA JOLIE VIELLEUSE

père que vous serez contente : exposez-moi vos désirs et ce qui vous flatte davantage ; vous allez l’avoir sur-le-champ. Je vis l’instant où ma mère allait se jeter à ses genoux : Je suis pauvre, lui dit-elle, monsieur le comte ; je n’ai pour tout bien que mes deux filles, et j’étais désolée que la cadette m’enlevât, en se don nant à vous, sans mon aveu, la ressource que j’attendais de ses petits talents : mais puisque vous êtes si bon que de ne l’avoir pas escroquée, j’oserai vous parler : à combien se monte ce que vous me donnerez ? À cinquante louis par an. — Il ne m’en faut pas tant, mon cher bon monsieur ! je n’ai jamais eu qu’une envie et qu’une ambition, c’est de retourner dans mon pays, d’y rembourser une rente de quinze livres que je dois sur ma maison, et d’acheter un petit jardin qui est derrière, qui coûtera bien cent écus ! mais aussi c’est qu’il est beau ! cela fait en tout six cents livres, à ce qu’on m’a dit : donnez-les-moi, puisque vous avez tant de bonté, et je vous tiens quitte pour toujours. Le comte sourit, et lui compta cent louis : ma seur lui expliqua que cela lui faisait quatre fois la somme. Je crus que la tête allait tourner à cette pauvre bonne femme : on se mit à table, mais elle ne put manger : en récompense, elle nous parla de ses acquisitions futures en terres, accompagnant tous ses projets des remerciements les plus vifs. Quant à ma sœur aînée, le comte lui fit un joli présent, dont j’ignore la valeur ; mais elle en parut très contente.

» Après le dîner, nous sortimes toutes trois, ma mère, ma sœur et moi, pour aller sur le Boulevard. Je me souvins de ce que le comte m’avait dit, qu’il y aurait toujours quelqu’un à mes ordres, si j’en avais besoin, et je le dis à ma sœur. Cette pauvre fille, comme toutes les autres femmes qui ont eu peu d’éducation, avait le défaut d’ètre quelquefois insolente, elle fut charmée de ce que je venais de lui dire. Enorgueillie par l’accueil et par le présent qu’elle avait reçu du comte, par sa nouvelle faveur, et surtout par l’appui secret que j’avais, elle se promenait fièrement dans le