Page:Restif de La Bretonne - Les Contemporaines, (Charpentier), tome 2, les Contemporaines du commun, 1884.djvu/22

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LA JOLIE VIELLEUSE

quoique de leur sexe, et de m’éclipser dès que je les aurais enchantées de mon instrument et de mes manières. À dix heures, le comte me laissa, et partit.

» Restée seule avec ma gouvernante, cette femme chercha à me pénétrer. Je ne crois pas qu’elle ait eu beaucoup de peine à y réussir. Mais à mesure que je répondais à ses différentes questions, elle prenait un air plus satisfait, et nous nous trouvâmes très bonnes amies.

» Vous serez surpris que je fusse ainsi restée chez le comte sans difficultés ; j’en avais cependant fait quelques-unes : mais il m’avait fait entendre qu’il fallait que je restasse, ajoutant qu’il s’en irait de bonne heure.

» Le lendemain, la matinée se passa à la toilette : ma gouvernante me fit prendre la mesure pour différents habits, par des ouvrières : je vis la marchande de modes pour des bonnets de mon costume ; le bijoutier apporta des brillants pour me garnir un habit, la ceinture et la bandoulière de ma vielle. Mais vous sentez que tout cela était pour la maison. Ce que je devais porter en public était seulement propre et de bon goût.

» À l’heure du dîner, je vis entrer ma mère et ma sœur dans la voiture du comte. Cette attention de sa part me fit un grand plaisir ! Je courus au-devant d’elles d’un air enjoué. Ma mère m’accueillit par un soufflet, et un déluge d’injures qu’elle prononça avec la volubilité naturelle à notre patois. Ma sœur me garantit de la suite de ses mauvais traitements, et prit mon parti. Écoutez-la auparavant, lui disait-elle : quel mal a-t-elle fait ?… Digues, Perla, as-tu songea à notre mèra, dans tes arrangements ?… Je ne lui vois qu’un tort, c’est si elle a passé la nuit avec un homme sans les faire. Je répondis que je serais bien fâchée que cela me fût arrivé. Je racontai les choses comme elles étaient, et ma mère se calma. Le comte parut alors. C’est moi qui l’ai retenue malgré elle, lui dit-il : je veux en prendre soin : quant à vous, j’es-