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LA JOLIE VIELLEUSE

veté de ma première réponse. — Elle est adorable ! s’é criait-il à tout moment ! quelle innocence aimable ! Il se comporta très décemment le reste de la soirée ; plus nous avancions vers le moment de nous séparer, plus il devenait froid et réservé. J’ai su depuis que la naïveté soutenue de mes réponses lui donna enfin des doutes, qu’il voulait vérifier avant de s’attacher à moi.

» Nous nous mimes à table au bout de trois heures de conversation, c’est-à-dire vers les sept heures du soir. Je fus agréablement surprise d’y trouver une femme âgée, que je n’avais pas vue en entrant. J’avais appétit ; on me laissa manger ; ensuite le comte me dit : — Ma jolie Perle, il faut rester ici avec madame, qui sera votre gouvernante : voici (il sonna) votre femme de chambre, votre laquais ; je vais, dès ce soir, en vous quittant, tranquilliser votre mère et votre seur, en leur assurant que demain elles seront les maîtresses de vous voir ici ; vous les y traiterez, car vous êtes la maîtresse ; et moi-même, demain, je n’y serai que votre convive et votre ami. Vous sortirez avec elles pour aller au Boulevard : je suis bien aise, comme je vous l’ai dit, que vous continuiez votre profession ; mais vous sentez que vous n’avez pas besoin de gagner ; vous jouerez pour ceux qui vous plairont, et surtout pour de jolies femmes, les plus honnêtes que vous rencontrerez : si les hommes qui sont avec elles vous payent, vous recevrez sans affectation et sans regarder ce qu’on vous donnera. Il est inutile de vous recommander de repousser les téméraires. Il y aura toujours quelqu’un à moi, à portée de vous secourir en cas d’insulte ; soyez-en sûre, quand vous ne le verriez pas. Je ne veux que votre bonheur : laissez-moi le plaisir de le faire ; le mien en dépendra.

» Je fus si touchée du discours du comte, que je me jetai sur une de ses mains que je baisai. Ce qui me flattait le plus, dans toutes les bontés qu’il venait de me montrer, c’était le pouvoir et la liberté que j’allais avoir de ne pas me faire payer ; de jouer librement aux jolies femmes, que j’ai toujours beaucoup aimées,