Page:Restif de La Bretonne - Les Contemporaines, (Charpentier), tome 2, les Contemporaines du commun, 1884.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
LES HUIT PETITES MARCHANDES DU BOULEVARD

Tout le monde répéta le refrain à chaque couplet, en dansant et folatrant autour du comte : ensuite la chanteuse raconta son histoire :

IV. LA PETITE BOUQUETIÈRE


— C’est moi qui vous a’rait d’s avantures, quand j’vas à la portière des carrosses porter des bouquets aux messieus, si j’n’étais pas s’que j’suis ! Dam’ ! c’est qu’en montant su’l’montoir, l’un vous prend la joue, l’autre l’menton, l’aute un peu pûs bas : et quand vous avez ça joli, c’est des compliments, des, la belle enfant ! des, veux-tu ci ? veux-tu ça ? des, j’voudrais ben ci, j’voudrais ben ça… Mais moi je ne vous l’s écoute tant seulement pas, et j’tâche d’vende mes bouquets l’pûs que j’peus, des trois livres, des queuq’fois six francs, c’est s’lon ; et aux dames, six sous, douze sous, encore faut’i’ qu’i’ soyont beaus ! Un jour, que j’avais d’belles roses dans la primeur, v’là qu’un domestique vint m’trouver où c’que j’étais à ma place, tout vis-à-vis l’cabaret de Bellevue : — La belle enfant, comben ces roses pour mon maître ? — Vingt-quatre sous pour votre maîtresse ; vingt-quatre francs pour vote maître. I’s’mit à rire. — Apportez-en. V’là moi que j’prends mes pus belles, et j’m’en vas au carrosse, où ç’qui gniavait qu’un jeune monsieu, qui m’avait tout l’air d’un libertin ; mais c’était l’pus joli libertin qui fut jamais en fait de c’qui est de libertinage : enfin un joli jeune homme, un peu moqueur, très insolent, hardi comme trente pages, et pûs fourageû qu’un abbé d’condition. Son laquais lli parlait d’moi, et l’maîte riait. Entrez dans le carrosse, ma belle bouquetière, que j’choisisse à mon aise : et puis, c’est qu’en restant su’ l’montoir, vote jambe fine f’rait arrêter tous les passans. — C’ment donc qu’vous savez ça, monsieu ? vous ne la voyez pas ! — Ha ha ! j’l’ai vue. J’entra, et j’m’asseya à côté d’lui, et j’étala mes roses. — J’prens tout : mais j’n’ai pas d’argent su’moi, faut venir à la