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LES HUIT PETITES MARCHANDES DU BOULEVARD

sans qu’il t’en coûte rien : je ne demeure qu’à deux pas, dans la rue Charlot. Me v’la ben pûs contente ! J’eus du bonheur cette soirée-là ; j’vendis toutes mes pûs vilaines évantayes à six et dix sous de gain. Le soir, j’ala faire prendre ç’que j’avais chez la crémière, et comme a’ m’faisait payer d’avance, j’n’eus rien à faire qu’à lli rende sa clef. Où ç’que tu vas donc, la Mariane, me dit-elle, qu’tu m’quittes ? Dans queuqu’ bordel ? car t’es faite pour ça. Moi, je n’lli r’pondis rien, car elle est en gueule comme personne, et j’donna mon paquet à la cuisinière de ma grande vieye. — C’est donc là la sacristine ! s’mit à dire la crémière : all’ en a bén la mine, ma foi ! J’étais toute honteuse de o’qu’a’disait ça à c’te pauvre cuisinière, qui m’dit : — Laissez-la dire, et n’li répondez pas ; c’est une femme grossière, et c’est le r’gret de c’que vous quittez un trou qu’ell’ n’pourra louer à personne. Ça m’parut assez juste, et j’m’en ala. Quand j’fu’ arrivée chez la grande vieye dame, ell’m’donna une jolie chambe, comme ell’ m’l’avait promis ; nous soupimes ensemble fort bén, et j’m’ala coucher dans un bon lit, qu’elle m’dit qui était à moi. Tout allait ben. L’lendemain, après un bon déjeuner, en chocolat fait exprès, par Cheradame apotiquaire du faubourg Saint-Honoré, qui l’fait, dame ! excellent ! j’ala au boul’vard, farre mon petit commerce. Et ma grande vieye dame m’avait dit, auparavant que d’sortir : Ha çà, tu viendras dîner, ma p’tite Marianne ? Ç’n’est pas loin, viens, et n’manque pas ; car j’t’attendrai. Et moi, j’dis : Oui madame. J’vins donc dîner à l’heure. L’après-midi, la grande vieye dame vint au boul’vard, et a’m’regala de c’que j’voulus au café : j’burent du punch au rum et au rach, des deux façons. L’soir, m’voilà ben contente de m’savoir un bon souper, qui n’me coûtait rien, et un bon lit ! J’étais ben joyeuse, en m’en allant. J’fus ben reçue ; ma vieye grande dame m’embrassa, me caressa. On servit des pigeons aux p’tits pois, qu’j’avais dit qu’j’ai mais au café. J’soupa ben : j’bus un peu trop : mais c’est que l’vin était si bon !… V’là que l’souper est